Un peu d’histoire
Devant les arènes de Nîmes, à proximité du Musée de la Romanité, se dresse la statue du matador Nimeño II qui a vécu des années de gloire et qui finit tragiquement. Il est l’une des plus grandes figures de la tauromachie française.
Cette statue a été commandée sous la municipalité de Jean Bousquet en hommage à ce grand torero. Serena Carone a été choisie. La plasticienne s’est mise au travail en mars 1994. La statue en bronze fut dévoilée au public lors de la féria des Vendanges, le 15 septembre 1994 devant les arènes de Nîmes.
Les arènes, amphithéâtre romain construit vers la fin du Ier siècle de notre ère, sont classées monument historique par liste de 1840. Elles étaient destinées à la présentation de chasses et de combats de gladiateurs. Au Moyen-Age, elles devinrent le lieu du pouvoir seigneurial et accueillent, après le château des Wisigoths, celui du comte de Toulouse et de ses vassaux. A partir du XVe siècle et jusqu’au XIXe siècle, elles servirent de refuge à des populations assez pauvres. La peste y fit de nombreux ravages. Dès le XVIe siècle, François Ier suggère aux Nîmois de dégager le monument de ces habitations pour lui rendre sa splendeur antique ; ce sera fait uniquement pour les galeries supérieures et il faut attendre 1809 pour que la population des « Aréniers » soit entièrement évacuée et relogée dans plusieurs quartiers de la ville.
Au XIXe siècle, grâce à Prosper Mérimée qui, par sa fonction d’inspecteur général des Monuments historiques, va sauver un nombre important de monuments civils et religieux, les arènes vont retrouver progressivement au cours des XIXe et XXe siècles leur splendeur. En 1813, le taureau paraît dans les arènes. Le préfet du Gard de cette époque écrit : «Le goût qu’a le public pour la course de taureaux est porté jusqu’à la fureur dans ce pays et nulle part il n’existe d’emplacement aussi magnifique que celui des arènes. »
Nîmes est une place tauromachique importante. Malgré de nombreuses polémiques, des lois interdisant les courses de mise à mort (loi Grammont en 1850), malgré les nombreuses protestations de la Société protectrice des animaux (SPA), Nîmes, aujourd’hui encore, organise deux férias par an : la féria de Pentecôte qui dure six jours et la féria des vendanges qui a lieu les troisièmes vendredi, samedi et dimanche de septembre. Même si elles attirent des célébrités, ces fêtes sont des fêtes populaires avec des encierros, des abrivados, respectant ainsi la tradition régionale. La présence de plus d’un million de visiteurs, suivant les années, a été évaluée pour les deux férias.
Les plus grands matadors internationaux viennent toréer à Nîmes. Parmi eux Nimeño II.
Qui est Nimeño II ? Pourquoi lui ériger une statue ?
Christian Montcouquiol, dit «Nimeño II» est né à Spire (Allemagne) le 10 mars 1954. Il est mort à Caveirac (Gard) le 25 novembre 1991. D’ascendance auvergnate et même ambertoise par sa mère, il est issu d’une famille d’industriels du chapelet et articles religieux ainsi que de papetiers. Il est le frère d’Alain Montcouquiol, «Nimeño I». Sa première novillada a lieu à Nîmes le 17 mai 1975. À partir de cette date, il est appelé par toutes les grandes places tauromachiques, applaudi et reconnu par beaucoup. À Nîmes, le 14 mai 1989, il participe à un «mano à mano» en compagnie du portugais Victor Mendes qui, blessé par son premier taureau, se retire et laisse Nimeño affronter seul les six toros. Exceptionnel, posant seul les banderilles, dansant littéralement devant le taureau, il est tout au cours de cette corrida comme, inspiré. Nimeño remporte dans les arènes de Nîmes un triomphe absolu. C’est une corrida d’anthologie.
Le 10 septembre 1989 aux Arènes d’Arles, il va affronter des taureaux de Miura, réputés pour être dangereux, combatifs et braves. Bousculé pas son second taureau, il est propulsé en l’air, retombe la tête la première. Ses cervicales sont gravement touchées. Par la force de sa volonté et celle de ses soignants, progressivement, il retrouve l’usage de ses jambes et de son bras droit mais son bras gauche reste paralysé. Il le comprend et met fin à ses jours en se pendant dans son garage.
Cette fin tragique émeut tous les Nîmois. Le jour de son enterrement à la cathédrale de Nîmes, la ville est une ville en deuil.
Ériger une statue de Nimeño II devant les arènes était une évidence. Enfant du pays, homme réservé et très humain, il a été le premier matador français à jouir d’une reconnaissance du public par son talent et son courage. Il est reconnu par tous les toreros français comme ayant montré la voie. Il reste leur source d’inspiration, leur référence.
La statue
Elle est l’œuvre de la plasticienne Serena Carone. Haute de 2m10, lourde de 350 kg, elle est réalisée par la fonderie Landowiski. Elle a été inaugurée lors de la féria des vendanges, le 15 septembre 1994.
Le matador est debout, revêtu de son habit de lumière, il tient de ses deux mains le capote de brega, c’est-à-dire de travail qui sert au matador dans les deux premières phases (tercios) de la corrida. Il avance son pied droit pour arranger au mieux les plis de sa cape. Il n’est pas statique, il se positionne, tête baissée en une forte concentration intérieure : un moment suspendu avant que le taureau ne sorte du sombre toril, ébloui par le soleil. L’artiste n’a pas voulu représenter le matador faisant une passe à un taureau invisible ! Elle le représente après avoir participé au paséo, au moment où il déplie sa cape. Il est seul. Ses yeux sont baissés. Il est concentré, vivant l’ultime moment avant le face à face avec le taureau, avant le combat et la mort de l’un ou de l’autre. Le travail de l’habit de lumière est étonnant.
Il faut s’approcher de près pour comprendre que les broderies en soie de couleur or ou de couleurs vives sont remplacées par un assemblage hétéroclite d’objets : boulons, vis, cadenas, éléments décoratifs de ferronnerie, feuilles de lauriers et bien d’autres objets encore. La statue est dans une attitude, de style classique, mais l’accumulation des détails ou broderie, est ultra réaliste. Chaque objet se reconnait en une interprétation surréaliste. Ces détails, Serena Carone est la seule à en connaitre le sens. En plus de la photographier, le public a besoin de toucher l’œuvre. « J’aime que les Nîmois puissent tourner autour, la touchent. Avec l’acidité de leurs mains sur le bronze, ils lui font peu à peu la dorure de son habit de lumière » dit-elle.
L’artiste
Serena Carone est née le 1er janvier 1958. D’origine corse, elle vit et travaille à Paris. Artiste de plus en plus connue et appréciée, elle produit dans la solitude de son atelier. Serena Carone appréhende la matière, la retravaille, cherche à l’adapter à son imaginaire. Elle n’a pas de matériau de prédilection. Son inspiration provient tout autant des œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles que du coin de la rue. Son univers, dit-elle, est proche du Cabinet de curiosités. Elle a participé à de nombreuses expositions collectives tant dans des galeries que dans des musées. Certaines expositions lui sont entièrement consacrées. Son nom restera parmi les grandes créatrices plasticiennes du XXIe siècle.
Hélène Deronne
Février 2022.
Bibliographie
Ligier Christian, Nîmes sans visa, portrait d’une ville, Paris, Ramsay, 1987, p. 201