L’Hôtel Dions-Bézard

L’hôtel Bézard (©FC)
Dessin Guesdon vers 1850 (©coll.part.)

Un peu d’histoire

L’hôtel Dions-Bézard, plus connu à Nîmes sous le nom d’hôtel Bézard est situé en haut de l’avenue Feuchères, à l’angle du boulevard de Bruxelles, avec une façade donnant sur l’Esplanade*. Il fut, comme le montre le célèbre dessin de Guesdon, un des premiers immeubles construits sur la prestigieuse avenue inaugurée en 1844 et c’est l’un des plus remarquables.

David  Bézard achète ce terrain en 1845 alors que la gare* vient juste d’être terminée. Il y fait construire cet immense hôtel composé de deux parties : un immeuble de rapport avec appartements locatifs sur l’avenue Feuchères et son hôtel particulier sur le boulevard de Bruxelles. Né à Lunel en 1818, David Bézard est un riche négociant. Il a épousé Amélie Londès et leur fille unique, Anna Julie, réalise un beau mariage en épousant le baron Charles Alexis de Trinquelague-Dions. Lorsque David Bézard meurt en 1892, sa fille hérite de l’hôtel qui prend alors le nom d’ « Hôtel Dions ».
En 1923, Madame (Veuve) Trinquelague-Dions, trouvant sa demeure trop vaste, décide de vendre l’hôtel de son père. L’administration des postes profite de cette opportunité pour s’installer dans un quartier neuf en pleine expansion à proximité de la gare. Les locaux sont vastes, le jardin est spacieux et la cour arrière permet un accès facile aux véhicules postaux.
L’héritière vend donc 3500 m2 pour un montant de 5 millions de francs, se réservant jusqu’à sa mort la jouissance, moyennant un loyer, de l’appartement de son père et de ses dépendances. Elle impose certaines conditions de cohabitation « comme de veiller à ne pas enlever la vue », raison pour laquelle la poste principale n’est pas très élevée.
L’architecte Paul Bessine construit pour l’Administration de la Poste, des bâtiments dans le beau jardin pour une surface de 1000 m2 reliée par une passerelle à l’ancien hôtel où se trouvent les appartements des chefs de service. Des bureaux sont aménagés dans l’ancienne partie locative. Un tunnel est creusé dans les sous-sols de l’hôtel et au rez-de-chaussée pour créer un nouveau passage avec porte cochère pour l’administration. La poste est inaugurée en 1927.
Afin de protéger ce bâtiment exceptionnel, les façades, les toitures, les deux vestibules avec leur cage d’escalier ainsi que quelques autres éléments ont été inscrits aux Monuments Historiques en 2012. En 2015, l’architecte Didier Cazalet a rénové l’immeuble afin de le transformer en un hôtel de luxe appelé Appart City Nîmes Arènes.

L’architecte : Gaston Bourdon ?

Même si les plans ne sont pas signés, on pense, avec assez d’éléments de certitude, que l’architecte de l’hôtel Dions Bézard est Gaston Bourdon qui travaillait au même moment sur le chantier du Palais de Justice situé de l’autre côté de l’Esplanade.
Gaston Bourdon est né en 1801 à Vincennes et meurt à 53 ans à Nîmes en 1854. Talent reconnu mais souffrant de problèmes de santé, Gaston Bourdon quitte la région parisienne en 1828 pour devenir architecte du département de la Lozère, puis en 1832, il s’installe à Nîmes en tant qu’architecte du département et conservateur des monuments du Gard. C’est à ce titre qu’il conçoit les plans du palais de justice de Nîmes (1833-1846), de l’église néogothique de Sommières (1846-1849), qu’il restaure l’abbatiale de St Gilles du Gard et les arènes de Nîmes. Il n’est que second au concours ouvert pour la construction de l’église Saint-Paul gagné par Charles Questel mais il est nommé responsable des travaux dans la cathédrale de Nîmes jusqu’en 1848. Dans les années 1850, surmené par le chantier du palais de justice, malade et atteint de problèmes cérébraux, il doit abandonner ses fonctions d’architecte. Il décède en 1854, sans avoir recouvré l’usage de ses facultés.

Les façades

L’immeuble, immense, se compose de deux parties reliées à l’angle des deux rues par une construction en arrondi très élégante. Le plan général avec de courtes ailes en retour sur le jardin à l’arrière, ressemble à celui de l’hôtel Rivet, construit en 1786 par Jean-Arnaud Raymond, architecte de la province.

La pierre dure provient de Beaucaire, la chaux du Teil, les sables du Gardon, le bois de sapin du Nord ou de la Lorraine, le chêne de Bourgogne… De très beaux matériaux ont été choisis.
Avec 3 étages sur rez-de-chaussée, la façade dessinée par Bourdon entérine le principe de la hiérarchie des niveaux : les hauteurs sous plafonds sont de taille décroissante, l’ornementation est différente d’un étage à l’autre, les balcons sont « filants » au 1er étage, parfois appelé «le bel étage ».

Bossages du rez de chaussée et balcon filant du 1er étage (©FC)

Le rez-de-chaussée est caractérisé par des bossages et trois grands portails encadrés de colonnes doriques. Au 1er étage, le décor est magnifique ; chacune des 18 grandes fenêtres rectangulaires (9 sur le boulevard de Bruxelles et 9 sur l’avenue Feuchères) est encadrée de pilastres composites avec feuilles d’acanthe et surmontée alternativement d’une tête d’homme ou de femme de style Renaissance entourée de rinceaux de feuilles.
Le second étage présente aussi 18 fenêtres mais cette fois inspirées des fenêtres serliennes, c’est-à-dire encadrées de colonnes ioniques, surmontées d’un arc en plein cintre décoré d’une agrafe monumentale. Ce style, inspiré de l’architecte italien Sebastiano Serlio qui vécut à Venise au XVIe siècle, redevient très à la mode en Italie au XIXe siècle. Pas de balcons sur ce 2ème étage mais des gardes corps en fonte très travaillés et décorés de rinceaux et de têtes.

Trois étages de fenêtres très décorées (©FC)

L’étage d’attique ou dernier étage montre une alternance de frontons curvilignes et triangulaires qui rappellent le décor intérieur du temple de Diane.
L’abondance des colonnes, la superposition des ordres, dorique, corinthien puis ionique et les ouvertures en serliennes du 2ème étage sont autant de manifestations du style néoclassique dont Gaston Bourdon était pétri.

L’intérieur

Remarquable par son vestibule monumental et sa cage d’escalier aux superbes rampes et aux colonnes imposantes, l’intérieur de l’hôtel Dions Bézard est accessible aux visiteurs du complexe touristique qui s’y est installé en 2015.

Montée d’escalier (©FC)

La cage d’escalier est exceptionnellement vaste avec ses trois volées droites et parallèles, couronnées  par une verrière. Celle-ci est soutenue par des colonnes peintes en faux marbre ornées de riches chapiteaux corinthiens et par une voussure moulurée. Le palier présente de fausses arcades en plein cintre qui devaient également être peintes en faux marbre.
L’appartement d’honneur du 1er étage comprend une enfilade de salons sur rue et des pièces latérales se prolongeant dans l’aile sur jardin. La salle à manger qui ouvre sur la loggia et le jardin a conservé une belle cheminée en marbre noir et un décor de petits médaillons ovales peints directement sur le mur avec leurs cadres en trompe-l’œil, figurant des scènes champêtres ou de chasse.

Les salons sur rue sont remarquables par la qualité de cheminées et le décor des corniches rappelant celle de la Maison Carrée. Le visiteur est impressionné par la richesse des décors intérieurs, tout particulièrement les moulures qui ornent les corniches et les rosaces centrales des plafonds mais aussi les médaillons peints, ainsi que par la fonction structurante et l’esthétique très néo-classique des grandes portes palières. La partie locative est traitée de manière plus simple avec cependant le souci permanent de l’esthétique comme le montre la cage de l’escalier, modeste, mais soutenue par des colonnes ioniques peintes en faux marbre !

Insolite…:

L’immeuble en son temps était si vaste, si imposant, si richement décoré que les Nîmois avaient inventé l’expression «On se croirait chez Bézard» pour dire qu’un endroit était remarquable ou pour se moquer d’un nouveau riche affichant son luxe !

Francine Cabane – mai 2020

Bibliographie :
Clier, Josette, dossier de classement Monuments historiques, 5 avril 2012,
Potay, Corinne, Le n°2 avenue Feuchères Hôtel Bézard, Archives municipales, 1994
Mathon, Georges, Les cahiers d’histoire de 1914 à 1920, Nîmes au début du XXe siècle, http://www.nemausensis.com/Nimes/XXeSiecle/Nimes1914-20.htm

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