L’HÔTEL MILLIARÈDE

31, avenue Carnot- Nîmes

Hôtel Milliarède façade côté jardin (©photo F.Cabane)

Le contexte historique

Cette maison, connue aujourd’hui comme un hôtel de charme appelé « La maison de Sophie », a été construite au début du XXe siècle entre 1900 et 1907. Elle s’appelait alors l’hôtel Milliarède du nom de son commanditaire et premier propriétaire. Située au numéro 31 de l’avenue Carnot dans un quartier qui s’est développé dans la deuxième moitié du XIXe siècle en lien avec l’essor du chemin de fer et la proximité de la gare, elle fait partie des joyaux architecturaux du patrimoine des faubourgs nîmois.

Ce quartier fut longtemps marqué par la présence du Vistre qui traversait des zones de champs et de jardins irrigués avant de rejoindre la plaine. La toponymie des rues garde encore la trace de ce passé ; la rue de l’Ecluse n’est pas loin, ni la rue Montjardin. En 1776, un quai est construit pour canaliser le Vistre ; il prend le nom du propriétaire d’un grand nombre de terrains situés dans ce quartier, Monsieur Roussy. Le long du quai Roussy, on trouve encore au XIXe siècle, de nombreux corroyeurs travaillant le cuir et un grand lavoir près de la rue Notre-Dame, construit en 1849.

Le quai Roussy (© détail du plan Liotard 1849 site Nemausensis)
Le lavoir place de l’Ecluse (©détail de la vue depuis un ballon- Guesdon- 1847- collection particulière)

Les nuisances liées à la présence des eaux nauséabondes et polluées des corroyeurs ont retardé les constructions de belles maisons qui se sont d’abord implantées côté ouest de la gare dans le quartier de la Cité Foulc. Lorsque la municipalité décide d’assainir cette zone en couvrant le Vistre, d’abord jusqu’à la rue Pradier en 1868 puis jusqu’au viaduc en 1881, une belle avenue voit le jour qui prend le nom en 1894 d’avenue Carnot en mémoire du président de la République assassiné cette année-là.

Le propriétaire de l’hôtel Milliarède

Porte d’entrée sur l’avenue Carnot (©photo M.Giacomoni)

L’entrée qui accueille le visiteur au 31 de l’avenue Carnot est surmontée d’un imposant couronnement de porte en pierre de style éclectique mêlant plusieurs motifs en frise. Sur le second portail rue Gaston Maruejols du nom du propriétaire d’un grand mas agricole situé juste en face de l’hôtel Milliarède, on peut lire le monogramme MF qui renvoie aux noms des premiers propriétaires (Milliarède et Froment). Monsieur Milliarède, avocat et fils d’un riche taffetassier qui possédait une entreprise textile, avait épousé une demoiselle Froment. Cet homme de lois, grand voyageur, semble avoir été assez fasciné par l’architecture italienne dont on retrouve de nombreuses inspirations dans cette maison. Monsieur Milliarède, de confession catholique, est enterré au cimetière St Baudile.

L’architecte

L’architecte de cette bâtisse est Louis Pinsot. Il habite non loin de là, au numéro 30 de l’avenue Carnot et jouit d’une bonne renommée en raison de sa fonction d’architecte départemental. A ce titre, il a réalisé de nombreux bâtiments publics, des églises, des temples, l’école de Vers, la poste de la Calmette. Passionné d’architecture antique, il intervient dans la restauration de certaines églises départementales et semble avoir travaillé avec Henri Révoil, architecte des Monuments Historiques en 1849 et architecte diocésain en 1852.
Louis Pinsot signe ici une maison bourgeoise qui occupe une place importante dans son œuvre, une confortable maison de famille, traitée avec une véritable esthétique, d’où l’inscription, par arrêté du 5 décembre 2007, au titre des monuments historiques des façades et toitures, de l’ensemble du bâti (le rez-de-chaussée et le premier étage de l’hôtel particulier, la maison du gardien, le mur de clôture et les portails).
Les travaux durent de 1900 à 1907. L’architecte fait travailler des artisans locaux et fait appel aux entreprises nîmoises d’Henri Blanc et François Sabatier pour la maçonnerie et à celle des frères Mora pour les mosaïques.

La bâtisse

Hotel-Milliarede-nimes-patrimoine-4

La maison, entièrement en pierre de taille, présente un grand intérêt architectural. L’implantation de la construction est surprenante, complètement dans l’angle de la parcelle, au coin de la rue Maruejols et de l’avenue Carnot, ce qui permet de bénéficier d’un assez vaste jardin. Deux portails, l’un principal donnant sur l’avenue Carnot et l’autre pour desservir les écuries sur la rue Maruejols permettent une circulation facile devant la maison.
Le plan, assez complexe, montre plusieurs décrochements autour d’un oriel donnant sur l’avenue Carnot, d’un perron qui vient en avancée sur le jardin et d’une tour carrée à l’angle des deux rues.

La façade sur le jardin

Les deux façades sont assez différentes. Celle sur le jardin montre une belle ordonnance classique inspirée de l’architecture italienne tandis que celle donnant sur l’avenue Carnot est plus éclectique marquée par une influence Art nouveau en vogue au début du XXe siècle. Les deux façades sont cependant en harmonie avec des reprises de décoration.

La façade sur le jardin : perron, balcon, occulus (©photos M.Giacomoni et F.Cabane)

La façade côté jardin s’organise en trois travées réparties de manière symétrique de part et d’autre d’un axe central souligné par un perron monumental orné de quatre colonnes doriques qui soutiennent un balcon aux balustres de pierre. Une volée d’escaliers conduit vers le perron. L’ordonnance est équilibrée entre les éléments verticaux (colonnes) et d’autres horizontaux (corniches qui soulignent l’étage et la toiture).
A l’étage, le décor est abondant autour des trois fenêtres, soulignées par des balustres de pierre et surmontées d’oculi décorés de guirlandes de feuillages et de fruits. Des rosaces de céramique colorée entre les modillons de la corniche viennent compléter le décor. Les volets sont persiennés et rabattables en tableaux.

La façade sur l’avenue Carnot

Façade sur l’avenue Carnot et oriel (©photos M.Giacomoni)

Côté rue, la façade est surprenante et associe des bossages rustiques pour les soubassements et des refends lisses continus pour l’étage. La tour d’angle est en pierre de taille. Un oriel, d’inspiration anglaise donne plus de clarté et de soleil à l’intérieur et offre la vue sur la rue. Il est décoré de verres colorés à dominante orange signés Julliard et présente des motifs géométriques et une frise d’oranges.

L’oriel sur l’avenue Carnot et la frise d’oranges (©photos F.Cabane)

L’intérieur

L’intérieur est resté dans son décor du début du XXe siècle, proposant un grand raffinement.
On peut admirer surtout l’entrée, tapissée d’un stuc magnifique qui imite parfaitement le marbre et mène, entre deux colonnes imposantes, vers une montée d’escalier élégante décorée de vitraux Art nouveau aux motifs fleuris de Schalleidner. Les boiseries décorées de fruits sont signées du peintre Le Pèvre tandis que les plafonds peints ont été réalisés par Charles Froment, beau-frère du propriétaire Milliarède.

Hall d’entrée et montée d’escalier (©photos M.Giacomoni et F.Cabane)
Plafonds peints de Froment et boiseries de Le Pèvre -1903 (© photos de F.Cabane)

Il faut encore signaler les cheminées en marbre et les mosaïques vraisemblablement sorties des ateliers de la famille Mora, mosaïstes italiens venus du Frioul au XIXe siècle et qui avaient ouvert, rue Pradier, une entreprise et une école de mosaïstes fort renommées à Nîmes.

Les mosaïques de l’atelier Mora et la maison du gardien (©photos M.Giacomoni)

Insolite et secret

La maison du gardien à droite de l’entrée est particulièrement soignée et présente le même style que l’ensemble de la maison. On y retrouve des décrochements et des décors de céramiques colorées.

Conclusion

L’ensemble est une belle illustration de l’architecture éclectique de la fin du XIXe et du début du XXe siècle où la profusion des formes est enrichie par l’association de couleurs : l’emploi de la céramique pour les corniches, les allèges, la présence de vitraux sur l’oriel. Si la façade à l’italienne est classique, on décèle des influences Art nouveau évidentes dans cette belle réalisation.

Céramiques colorées sur la tour d’angle (©photo M.Giacomoni)

Académie de Nîmes
Francine Cabane
Mars 2024

Sources :

La construction du quai Roussy 
Site Nemausensis
http://www.nemausensis.com › Nimes › La Fontaine de Nîmes au XVIIIe siècle,

https://www.hotel-nimes-gard.com/ la maison de Sophie (consulté le 24/02/2024 à 17h)
Eléments de l’histoire de la maison (aimablement transmis par les propriétaires de la maison, Sophie et Yves Rigon, que nous remercions)

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