L’hôtel Silhol

16, avenue Feuchères

Hôtel Silhol devenu aujourd’hui siège du tribunal administratif (©FC)
Hôtel Silhol devenu aujourd’hui siège du tribunal administratif (©FC)

Un peu d’histoire

Dans ce quartier de la gare, avant que celle-ci ne soit construite, s’étendaient ici, selon le cadastre de 1830, des champs, vergers et de nombreux « jardins potagers » avec de petits bâtiments agricoles dispersés. La zone avait même été interdite aux constructions nouvelles pour permettre à « l’air marin » d’aérer cette partie de la ville où de nombreux Nîmois venaient se promener.
En 1844, lorsque les ingénieurs Paulin Talabot et Charles Didion proposent d’implanter dans ce quartier la ligne de chemin de fer Nîmes- Montpellier et la nouvelle gare, la municipalité eut à cœur de contrôler l’urbanisation en créant une belle et large avenue menant à la gare, l’avenue Feuchères, assortie d’un règlement d’urbanisme contraignant, fixant des règles strictes pour les immeubles à venir.
A l’emplacement de la parcelle sur laquelle est construit l’hôtel Silhol s’étendaient des terrains appartenant à Claude Saumier, marchand de Gap et à Benjamin Valz, riche propriétaire protestant de Nîmes, connu pour ses travaux d’astronomie qui possédait aussi à cet emplacement une guinguette et une maison de plaisance.
La construction de la gare entraîne une rapide urbanisation du quartier. La proximité du train et de la gare, symboles de modernité, de progrès et d’avenir, est alors très recherchée !

Les propriétaires

Alfred François Silhol (1829-1912) achète en 1856 une vaste parcelle pour édifier, près de la gare, un hôtel particulier. Il est né à St Ambroix en 1829 et est originaire d’une famille protestante dont la fortune s’est construite au début du XIXe siècle, sous l’autorité de l’entrepreneur Auguste Silhol, dans des activités industrielles de tannerie et de fabrique de draps. Alfred François Silhol est un brillant chef d’entreprise, grand propriétaire foncier, administrateur de la Compagnie des Houillères de Bessèges. Il s’intéresse particulièrement aux affaires locales : sériciculture, emprunts, transports ferroviaires. Il épouse Mathilde Fornier de Clausonne, héritière d’une grande famille d’industriels du textile, originaire d’Alès, et dont la fortune s’est édifiée sur le commerce à l’international des bas de soie.
La famille élargie, composée du couple, de ses trois enfants, Gustave, Elisabeth et André mais aussi d’une tante et des beaux-parents, s’installe dans ce bel hôtel particulier avec de nombreux domestiques vers 1863.
En 1880, Alfred Silhol se lance dans la vie politique, est élu conseiller général, président de l’assemblée départementale du Gard, puis député du Gard de 1881 à 1885 et enfin sénateur jusqu’en 1903. Malgré cette brillante carrière politique, il perd son poste au Sénat au profit d’Adolphe Crémieux. Il meurt en 1912 à Paris à l’âge de 83 ans.
A Paris, la famille Silhol s’est installée avenue Vélasquez, près du parc Monceau, proche du musée Cernuschi. Avec ce quartier, elle choisit le mode de vie le plus fastueux des fortunes industrielles et de la banque et rejoint les Pereire, Rotschild, Meunier, Cernuschi, Camondo…
Au début du XXe siècle, cette même famille Silhol fait construire à Nîmes sur les hauteurs du mont Duplan un château dans un parc magnifique de 13 hectares. Ce château, donné par la famille en 1927 à la Maison de Santé Protestante puis à la Société protestante des Amis des pauvres est devenu un centre social de première importance dans la ville regroupant divers services dont une maison pour personnes âgées mais aussi une crèche et des lieux de formation.Lorsque les enfants Silhol qui habitent Paris, héritent de l’hôtel de l’avenue Feuchères, ils en font un immeuble de rapport et le louent à Gaston Gervais « industriel et patron ». Pendant la 2ème guerre mondiale, l’hôtel est le siège de la Milice. Après la guerre, l’immeuble est vendu à l’Etat qui y installe de 1954 à 2005 le commissariat central de police puis en 2005, les services du Tribunal administratif. L’ensemble a été alors totalement rénové par les architectes nîmois Nicolas Crégut et Laurent Duport de l’Agence C+D.

Les architectes

Sans certitudes absolues mais avec de fortes présomptions, Corinne Potay, s’appuyant sur les affirmations d’André Bernardy, historien gardois, pense que les architectes qui ont conçu et réalisé l’hôtel Silhol ont été Léon Feuchère et son fils Lucien. Léon Feuchère meurt en 1857 avant que ne commence le chantier mais il a pu en concevoir les dessins et plans dont la construction sera suivie par son fils Lucien dans les années 1860 et achevée en 1863.

Le propriétaire Alfred François Silhol (©photo Charles Reutlinger) et l’architecte Léon Feuchère (portrait de Joseph Felon -1857 ©Musée Vieux Nîmes)
Le propriétaire Alfred François Silhol (©photo Charles Reutlinger) et l’architecte Léon Feuchère (portrait de Joseph Felon -1857 ©Musée Vieux Nîmes)

Léon Feuchère est un architecte français, né à Paris en 1804, qui fait ses études en 1824 à l’école des Beaux-Arts où il est l’élève de Delespine. Il commence sa carrière comme peintre et décorateur en réalisant des décors de théâtre pour l’Opéra de Paris et la Comédie Française. En 1846, il est appelé, en association avec Théodore Charpentier, à reconstruire l’Opéra d’Avignon qui a brûlé. Suite à des problèmes de santé, il s’installe à Nîmes en 1847, devient architecte du département du Gard et de la ville de Nîmes. Il continue à travailler à Avignon à la réalisation de la façade de l’hôtel de ville mais œuvre surtout à Nîmes où il réalise les plans de la Préfecture et de l’église Ste Perpétue sur l’Esplanade. On lui attribue de nombreux immeubles prestigieux dans la ville comme l’hôtel Brouzet place Questel, l’hôtel Arnaud rue Clérisseau et l’hôtel Meyrueis le long du quai de la Fontaine. Il meurt prématurément en 1857 à l’âge de 53 ans et son fils Lucien Feuchère lui succède.

L’édifice

L’hôtel Silhol est un bel exemple de l’éclectisme architectural du XIXe siècle. A la différence des autres immeubles de l’avenue, c’est sa distribution entre cour et jardin qui le rend plus remarquable encore que son décor.

Plan de l’hôtel Silhol et façade arrière sur jardins
Plan de l’hôtel Silhol et façade arrière sur jardins (©FC)

Le bâtiment est très grand sous la forme originale d’un vaste rectangle présentant à chaque angle des avant-corps, arrondis sur la partie arrière côté jardin et rectangulaires sur la façade côté cour. Les quatre façades très hautes présentent deux étages sur rez-de-chaussée et sont toutes très soignées dans leur décor. Elles sont caractérisées par un nombre considérable de fenêtres : 92 au total ! La pierre calcaire, issue du « banc royal » de Beaucaire comme celle de la Préfecture, est très blanche parce que badigeonnée à la chaux lors des travaux. Cet effet de « cosmétique urbaine » est particulièrement remarquable sur ce bâtiment. Dans le beau jardin situé à l’arrière de l’hôtel, une bâtisse contemporaine réalisée par les architectes nîmois, Nicolas Grégut et Laurent Duport a été réalisée pour accueillir des bureaux.

La façade sur l’avenue Feuchères

Façade de l’avenue Feuchères et détail des fenêtres
Façade de l’avenue Feuchères et détail des fenêtres (©FC)

Avec la Préfecture, c’est le seul édifice de l’avenue dont la vue s’offre à travers une élégante grille, respectant ainsi le règlement d’urbanisme de 1842 qui exigeait l’installation d’une grille plutôt qu’un mur pour les immeubles construits en retrait de l’alignement, ceci afin de garantir une certaine homogénéité sur l’avenue.
La façade présente cinq grandes portes au rez-de-chaussée donnant sur une élégante terrasse surélevée. Aux deux étages, les fenêtres sont traitées avec soin, ornées de moulures tombant sur des culots feuillagés et décorées de garde-corps en ferronnerie de très belle facture. La corniche qui couronne la façade, en appui sur des caissons à rosaces qui rappellent la Maison Carrée, est surmontée d’un bandeau décoré qui vient cacher le toit.

Culots feuillagés et caissons à rosaces de l’hôtel Silhol
Culots feuillagés et caissons à rosaces de l’hôtel Silhol (©FC)

Les deux pavillons d’entrée qui encadrent l’entrée principale sont traités comme la façade avec une grande sobriété et une parfaite harmonie. On y note l’élégance des lignes horizontales d’esprit classique, un beau décor et la blancheur de la pierre de taille. Le dispositif de ces deux pavillons avec les portails à lanternes à gaz, permet le ballet des attelages lors des réceptions nocturnes. Par ailleurs les pièces du rez-de-chaussée sont conçues pour la vie mondaine, salle à manger lambrissée de style Renaissance, et vaste salle de bal dans la profondeur du bâtiment. L’hôtel Silhol demeure certainement le plus représentatif à Nîmes du train de vie de la haute bourgeoisie du Second Empire.

Insolite et secret

Ce lieu est resté de sinistre mémoire pour les résistants qui y ont été enfermés et parfois torturés pendant la 2ème guerre mondiale. En effet, ce bâtiment, tout proche de la Préfecture où siégeait un préfet collaborateur notoire du nom d’Angelo Chiappe, avait été réquisitionné par la Milice gardoise. La Milice était une organisation politique et paramilitaire créée le 30 janvier 1943 par le régime de Vichy pour lutter contre la Résistance, qualifiée de terroriste. Emmanuel Passemard, chef de la Milice gardoise, dirigeait des hommes de main entièrement acquis à la collaboration et travaillait en lien étroit avec la Gestapo, installée au n°13 du boulevard Gambetta. Le Docteur Salan, responsable des MUR (Mouvements Unis de la Résistance) y fut enfermé dans les caves et torturé. A la Libération, le préfet collaborationniste Angelo Chiappe fut exécuté devant les Arènes de Nîmes le 23 janvier 1945.

Francine Cabane (novembre 2020)

Bibliographie :

  • Potay, Corinne, 16 avenue Feuchères Hôtel Silhol parcelle EZ0185, Nîmes, Archives municipales, 2012
  • Salan, Georges, Prisons de France et bagnes allemands, Editions de la Capitelle, Uzès, 1946
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