La maison Arnaud

35, rue Cité Foulc

Maison Arnaud 35 rue Cité Foulc (©photo F.Cabane)

Un peu d’histoire

Dans ce quartier, avant que ne soit construit en 1844 le deuxième « embarcadère » à l’emplacement de la gare actuelle, s’étendaient ici des champs, vergers et selon le cadastre de 1830, de nombreux « jardins potagers ».
La nouvelle gare est à l’origine d’une intense spéculation immobilière menée par quelques hommes d’affaires avisés et visionnaires. Ce fut le cas pour Eugène Foulc. Originaire d’une famille de Sommières enrichie dans le négoce du textile et surtout des produits tinctoriaux, principalement la garance, Eugène Foulc, riche négociant nîmois, pressent avec l’arrivée du chemin de fer dans cette partie de la ville, l’extension urbaine qui va suivre et le déclin des produits tinctoriaux naturels au profit des colorants chimiques. Il vend son entreprise et achète entre 1830 et 1843, plus de 3 hectares de jardins potagers, terrains agricoles et petites maisons dans un but spéculatif. Son objectif est de lotir ces espaces, de les viabiliser puis de les revendre avec profit. Dans cet esprit, il fait ouvrir la rue Cité Foulc, désignée dans un premier temps sous le nom de « rue Neuve des Arènes » avant qu’elle ne prenne officiellement en 1881 par décision municipale, son nom actuel.
Des immeubles de rapport de type haussmannien avec des façades et alignements homogènes sont progressivement construits sur des ilots dessinés par le quadrillage des rues. Pour attirer les investisseurs dans le quartier et lui donner une vocation résidentielle, Eugène Foulc fait édifier un bel immeuble (hôtel Foulc Colomb de Daunant), doté d’une magnifique serre. Le quartier prend le nom « d’ilôt de la serre ». Il fait aménager, sur l’un de ses terrains, le square de la Mandragore sur lequel se trouve aujourd’hui le musée des Beaux-Arts construit en 1907.
Après son décès en 1857, les fils d’Eugène Foulc achèvent les fructueuses opérations immobilières commencées par leur père et divisent ses terrains en lots plus réduits et plus faciles à vendre.

Les propriétaires de la maison Arnaud

Sur l’emplacement de cette belle maison, se trouvait vers 1840 un grand jardin potager de plus d’un hectare que Jacques Sagnier, marchand de grains, avait acheté à Eugène Foulc et dont il revend une parcelle en 1891 à Charles Adhéran, pour y édifier cette maison.
Charles Adhéran, alors âgé de 28 ans, originaire de Saint-Jean-du-Gard, vit de ses rentes malgré son jeune âge. Il se marie avec une très jeune fille de 17 ans, Jeanne Andrea Arnaud, fille de l’architecte Albin Arnaud, et nièce de Gustave Arnaud, lui aussi architecte. Un fils, Georges, naît de leur union en 1891 et le jeune couple fait construire en 1892 cette maison, signée par l’architecte Gustave Arnaud, oncle de la jeune femme.
Dès 1897, la maison est revendue à Etienne Flory puis à Edmond Falgue, directeur de l’Enregistrement qui va l’habiter longtemps avec sa famille.
Charles Adhéran, passionné de voyages et d’Asie, meurt à 42 ans à Hanoi où il est devenu surveillant de travaux publics après, semble-t-il, divers revers de fortune.
Au XXe siècle, la bâtisse devient successivement en 1928 la propriété de la Société des Mines de zinc de Saint-Hippolyte-du-Fort puis en 1932 celle d’Albert Crégut, entrepreneur très connu à Nîmes et en 1936 de Joseph Vergnes, marchand de biens, place d’Assas. Après la guerre, les locaux sont occupés par un cabinet de financiers puis d’avocats, ce qui est toujours le cas.

L’architecte : Gustave ARNAUD

Albin et Gustave Arnaud sont demi-frères et tous deux architectes nîmois. Leur père était coiffeur.
Albin devient architecte, habite rue Raymond Marc puis rue Bourdaloue ; il fait des affaires immobilières dans le quartier de la gare et part pour l’Algérie où il continue sa carrière. Son demi-frère, Gustave, né d’un remariage du père, crée en 1882 une agence d’architecture prospère située rue Auguste et réalise d’innombrables immeubles à Nîmes. Il a la curieuse habitude de signer sur la façade ses constructions dont le n° 35 rue Cité-Foulc en 1892, le n° 6 du boulevard Sergent-Triaire en 1893, le n° 34 du même boulevard en 1893, le n° 16 de la rue des Greffes-bd Amiral-Courbet en 1894, les n° 29 et 31 de la rue Ménard en 1912, le n° 3 rue Briçonnet en 1914 et le n° 11 avenue Jean-Jaurès en 1923. Il habite au boulevard Saint-Antoine (aujourd’hui boulevard Victor Hugo) puis au n° 3 rue Meynier de Salinelles, maison qu’il a peut-être construite mais qui n’est pas signée.
Architecte de la ville, il meurt en 1928 laissant une œuvre abondante et variée dans des styles très différents, s’adaptant aux désirs des propriétaires.

Signature de Gustave Arnaud sur le mur de façade et monogramme de Charles Adhéran sur une cheminée (©photos F.Cabane)

L’édifice

Cette maison a parfois été qualifiée de « villa toscane néo-vernaculaire », l’architecture vernaculaire ayant pour objectif de mettre en valeur des identités régionales. Construite à l’extrême fin du XIXe siècle, son inspiration semble plutôt être de style « Art nouveau » dans une adaptation régionale.
L’Art nouveau se développe en Europe occidentale, plus particulièrement en Grande-Bretagne, Belgique, Italie, Espagne et France à la fin du XIXe siècle en réaction contre les dérives de l’industrialisation à outrance et de la reproduction sclérosante des grands styles. Ce mouvement puissant, international qui s’arrête après la 1ère guerre mondiale est un art essentiellement urbain qui affirme une créativité exubérante et produit des décors audacieux, marqués par la volonté de modernité en déclinant des formes nouvelles, arabesques, courbes, présence forte du végétal (décors de fleurs, plantes, arbres,) et utilisation de matériaux divers tels que la brique, le bois, le verre, le fer, les céramiques…

La villa est construite sur un rez-de-chaussée surmonté de deux étages et présente la particularité d’un jeu très original de pierres et de briques qui se déroule sur la façade et se prolonge sur le mur de clôture du jardin situé au sud. La polychromie est marquée, associant un soubassement rustique de blocs de pierre grise, des murs de belle pierre blanche et des briques rouges. Des céramiques rectangulaires en formes de briques jaunes et vertes et des motifs de céramiques viennent colorer encore l’ensemble : crêtes de vagues sur fond bleu, dessins géométriques et végétaux stylisés dans les tons carmin, bleu clair, vert vif sur fond jaune, éléments en relief évoquant le cœur de fleurs rouge carmin et bleu clair, avec parfois quatre pétales blancs. Le portique d’entrée est surmonté d’une autre frise polychrome formée de lourdes guirlandes végétales et florales mêlant rubans, feuillages de différents tons vert sombre et de fleurs rouges.

Les façades

Façade Ouest sur la rue et façade Sud côté jardin (©photo F.Cabane)

L’apparente asymétrie de la façade sur rue est l’autre caractéristique de cette maison qui se présente comme une série de pavillons juxtaposés avec des toits de hauteurs différentes mais qui ont pour trait commun de déborder largement et de former de beaux avant-toits, le plus spectaculaire étant celui de la partie centrale. De larges consoles en bois reposant chacune sur un culot de pierre semblent soutenir cet avant-toit.
La travée centrale s’organise sur trois niveaux avec de part et d’autre du rez-de-chaussée deux passages voutés et couverts dont l’un, celui de droite, abrite l’entrée principale.
Le décor architectural associe des pilastres de pierre dont les chapiteaux sont traités avec liberté (ex : ordre ionique enrichi d’un chute de fruits) et cinq balcons dotés de garde-corps en ferronneries de très belle facture. Celui qui, dans la partie centrale, avance sur la rue présente une forme élégante et arrondie, posée sur un motif décoratif de forme ovale lui-même terminé par un culot sculpté de motifs végétaux. Le balcon qui surmonte la porte d’entrée principale ferme une sorte de véranda habillée de verres teintés jaunes et verts côté rue et de verres transparents bordés de rouge foncé côté jardin. Les motifs de ferronnerie associent volutes, barreaux droits et cœurs renversés.

Céramiques colorées, véranda du premier étage et balcon ovale (©photo F.Cabane)

Au dernier étage, le toit à 4 pentes, souligné d’un faitage en zinc, vient prendre appui sur des éléments en bois qui avancent largement sur la rue et sont soulignés par des panneaux de céramiques très colorées avec feuilles de lotus. Ce décor exubérant évoque sans doute les pays et voyages lointains rêvés par le propriétaire et son envie de dépaysement. L’emploi des fleurs de céramique sous le toit et de briques vernissées très colorées donne de l’éclat à toute la façade.

Faitage en zinc, consoles de bois, décor de céramiques et briques colorées (©photo F.Cabane)

L’intérieur de la maison

Une des caractéristiques de ce type de villa Art nouveau est de décliner aussi l’ornementation dans la décoration intérieure. Ainsi, trouve-t-on dans les différentes pièces de beaux plafonds peints, des stucs très travaillés et un raffinement de boiseries tout à fait remarquable.

Plafonds peints et détail des boiseries du salon (©photos F.Cabane)

Insolite et secret

Oriel côté sud donnant sur le jardin (photo F.Cabane)

Parmi les pièces de réception, le salon qui donne sur le jardin sud est ornementé d’un magnifique oriel décoré de motifs géométriques et de couleurs chatoyantes. Les verres colorés fabriqués par des entreprises de l’Est de la France ou de Provence, comme Schalleinder et Gaborit, sont très à la mode à la fin du XIXe siècle et plusieurs autres maisons du quartier présentent des éléments de décor comparables. Cette villa de style Art nouveau est cependant unique en son genre à Nîmes…

Francine Cabane
Mars 2023

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