L’hôtel de la Préfecture – 10, avenue Feuchères

La Préfecture du Gard (©FC)

Un peu d’histoire

En descendant l’avenue Feuchères en direction de la gare, on ne peut manquer sur le côté droit de l’avenue, l’imposant bâtiment de l’Hôtel de la Préfecture qui fut construit ici en 1856 par Léon Feuchère, un architecte parisien installé à Nîmes .

Cette partie de la ville était jusqu’en 1840 très champêtre et couverte de jardins. Le projet de Paulin Talabot d’y construire le deuxième « embarcadère » ou gare* en 1844   révolutionne l’ensemble du quartier. Une avenue monumentale est tracée entre la gare et l’Esplanade* remaniée, sur laquelle se construisent de beaux hôtels particuliers et des bâtiments prestigieux.

Les lieux de la Préfecture à Nîmes

La Préfecture, instaurée sous Napoléon Ier en 1800, a occupé dans la ville plusieurs lieux  avant que le département du Gard ne décide de lui consacrer un hôtel construit de neuf et adapté à ses fonctions.
Elle fut tout d’abord installée dans la Maison Carrée jusqu’en 1807 puis, vu l’exiguïté et l’incommodité des locaux, elle fut transportée jusqu’en 1822 dans l’ancien Palais épiscopal (aujourd’hui Musée du Vieux Nîmes), date à laquelle l’évêque reprit possession de sa résidence, suite à la recréation d’un évêché à Nîmes. De 1822 à 1857, elle s’installa dans l’Hôtel Rivet, vaste et belle demeure de la Grand Rue qui avait accueilli en leurs temps Louis XIII et Louis XIV mais jugée trop petite au fil des ans pour les besoins d’une Préfecture.
Dès 1847, le conseil général envisage de construire une nouvelle Préfecture et achète une parcelle agricole de 6000 m2  près de la nouvelle gare, montrant ainsi la volonté de marquer le lien fort entre la Préfecture et la capitale. 

L’architecte Léon Feuchère (1804-1857)

L’architecte choisi est Léon Feuchère, d’origine parisienne qu’il ne faut pas confondre avec le le baron Adrien Victor de Feuchères, généreux donateur nîmois à sa ville natale et qui a donné son nom à l’avenue où se situe la Préfecture.
Léon Feuchère, jusque-là associé à Théodore Charpentier, s’était fait dans les années 1840 une solide réputation dans la décoration de nombreux théâtres parisiens. On lui confie la construction des théâtres d’Avignon et de Toulon. Des problèmes de santé l’incitent à s’installer à Nîmes en 1849 où il ouvre un cabinet d’architecte place des Arènes et devient architecte du département du Gard. Il travaille à la construction de l’église Ste Perpétue-Ste Félicité sur l’Esplanade, des hôtels Silhol et Picheral sur l’avenue Feuchères, de l’hôtel Brouzet place Questel, de l’Hôtel Arnaud rue Clérisseau, de l’Hôtel Meynes sur les quais de la Fontaine et de bien d’autres chantiers encore. En 1855, il est retenu pour la construction de l’Hôtel de Préfecture du Gard. Il décède en 1857 sans voir la fin de son projet, qui sera repris successivement par les architectes Antoine Monsimier puis Eugène Laval.

Le bâtiment : une architecture spécifique

Les Préfectures, bâtiments prestigieux du pouvoir, abritent la résidence du Préfet, représentant de l’Etat dans le département et les services administratifs, courroies de transmission du pouvoir national. Il s’agit donc d’un bâtiment dont l’architecture doit refléter toute la puissance et la symbolique du pouvoir mais être aussi adapté à des fonctions de réception et d’administration.
Conçu pour incarner la permanence de l’État, la bâtisse donne une image de monumentalité et de solennité. Léon Feuchère est un architecte académique qui s’attache à l’importance de l’effet d’ensemble, à la symétrie dans la composition, à la richesse des détails dans les décors…

Plan en élévation de la façade sur l’avenue Feuchères (©AB)

Le plan retenu est celui d’un vaste hôtel à la française entre cour et jardin avec des bâtiments disposés en U autour d’une cour d’honneur dont deux ailes forment pavillons en avancée et retour sur le jardin à l’anglaise situé à l’arrière. Le portique à colonnes prévu initialement pour l’entrée sur l’avenue fut remplacé par une grille.
L’ensemble abrite des bureaux administratifs, des salons de réception pouvant recevoir 600 personnes ainsi que des appartements privés et une gendarmerie, ce qui est une spécificité nîmoise. A l’époque, le conseil général des Bâtiments Civils critique le plan : « La salle du conseil général est trop éloignée du cabinet du préfet, l’escalier trop monumental (il s’est d’ailleurs affaissé sous son propre poids dès le début), la salle à manger trop grande (manque de solidité des planchers), trop de colonnes, trop de décors, porte d’entrée trop monumentale, …»
Le préfet cependant soutient le projet Feuchère malgré le conseil général qui freine, souhaitant une disposition plus simple. Les devis seront plusieurs fois revus à la hausse : 372.000F puis 490.000F puis 520.000F.
La première pierre est posée en 1855, la réception provisoire a lieu en 1856 et le préfet Pougeard du Limbert s’y installe dès 1857. La réception définitive se fait en 1861, après la mort de Léon Feuchère. A l’époque, ce bâtiment qui a la réputation « d’être ce qu’il y a de mieux en matière de préfecture » est présenté comme expérimental !

La façade sur l’avenue Feuchères

C’est la plus imposante et elle dit de manière solennelle la grandeur de l’Etat et le faste du lieu.
La pierre provient des carrières romaines des environs de Nîmes : carrières de Barutel sur la route d’Alès et carrières du bois de Lens, situées au Nord-Ouest de Nîmes. Les toitures associent des charpentes en sapin du Nord, des tuiles de Nîmes et des ardoises d’Angers. Les toits « à la parisienne », avec des ardoises posées presque à la verticale, sont venus se rajouter au projet initial et sont le travail d’artisans lyonnais spécialisés dans la pose délicate de ces toitures.
Sur la façade principale, le perron d’entrée, surmonté d’un portique campanile, accentue la fonction de réception. L’essentiel du décor est placé sur ce pavillon central qui est d’une grande élégance. L’escalier monumental aux courbures arrondies amène vers un porche en plein cintre encadré de 4 colonnes cannelées d’ordre ionique. A l’étage, un balcon de prestige, surmonté d’un arc en plein cintre est encadré cette fois de 8 colonnes jumelées à chapiteaux corinthiens.

Pavillon central de la cour d’honneur (©FC)

Au-dessus de l’inscription majestueuse « PREFECTURE » se dresse une horloge monumentale, encadrée de deux sculptures représentant l’agriculture et l’industrie dans le Gard. Ces allégories sont l’œuvre d’un sculpteur parisien célèbre de l’époque, Joseph Felon, qui a travaillé également aux bas-reliefs de la façade Ste Perpétue. Ces deux statues, gracieuses cariatides, portent pour l’une un rameau d’olivier symbolisant l’agriculture et pour l’autre, une navette de tisserand évoquant l’industrie.

Les cariatides de Joseph Felon représentant industrie et agriculture (©FC)

Le discours décoratif de ce bâtiment, si on prend soin de l’observer avec attention, est riche, diversifié, empruntant des éléments à des époques différentes : ouvertures en plein cintre au rez de chaussée, rectangulaires à l’étage, surmontées de frontons triangulaires, corniches, colonnes, chapiteaux, motifs antiques ou Renaissance, balustrades, linteaux décorés de rinceaux, de denticules, d’oves,…

Eléments de décors (©AB)

Les façades côté jardin

Sur la partie arrière, vers les jardins, on remarque un étage supplémentaire et, sur les ailes en retour, deux pavillons très originaux, octogonaux, coiffés de toitures en ardoises à 8 pans. Une vaste terrasse bordée par des balustres en poire vient décorer l’ensemble et permet d’admirer les jardins.

Plan en élévation façade côté jardin (©AB)

La réalisation des jardins fut confiée à Guillaume Dussaud, jardinier, fleuriste, pépiniériste nîmois installé sous les arches du viaduc du chemin de fer et qui signa ici une belle création avec une forte densité de plantations, associant des végétaux indigènes (laurier-tin, plaqueminier,… ) et exotiques (plantes tropicales, rosiers rares,..). L’installation d’un bassin et d’aménagements d’arrosage complétaient l’ensemble.

Une serre, construite dès l’origine, accolée à la façade côté jardin, accueillait les orangers et les plantes craignant le froid ; elle fut démontée en 1958 lors d’un grand remaniement du jardin lié à la création d’un parking. Au fond du jardin se trouvent les écuries, les archives et le conseil général, relié à la Préfecture par une aile dite « aile des bureaux ».

La serre sur la façade côté jardin démontée en 1958

L’intérieur

Les décors intérieurs ont fait l’objet des plus grands soins. La Préfecture regorge d’œuvres d’art, peintures, sculptures, mosaïques de grande qualité.

L’escalier d’honneur dans l’aile droite de la cour (©FC)

Dès l’entrée dans l’aile droite, s’ouvre entre 16 colonnes doriques très imposantes, un large escalier d’honneur à double révolution.
Le long de cet escalier, des peintures de Victor Chenillon, artiste qui a réalisé aussi le rideau de scène de l’Opéra de Nîmes, rappellent les monuments nîmois et sont entrecoupées de pans de stucs d’une remarquable qualité. Des allégories, également de Victor Chenillon, représentent la Marine, la Guerre, le Commerce, les Arts, et complètent ce monumental décor peint.
Des parquets en chêne, des marbres noirs et blancs, des pavements en grès, des peintures en faux bois et faux marbres, des tentures originales telles celle de la salle de billard tapissée de cuir de Cordoue doré, de très beaux poêles calorifères de Strasbourg ainsi que des meubles de qualité, le plus souvent d’origine parisienne, viennent rehausser l’ensemble.

Peintures de Victor Chenillon dans l’escalier d’honneur et papier peint « Vues du Brésil » dans la salle à manger

Dans un des salons de réception, on peut admirer un remarquable papier peint panoramique « Vues du Brésil » de la manufacture Zuber à Rixheim près de Mulhouse et dans le bureau du Préfet, de magnifiques huiles sur toile marouflées d’Yves Brayer réalisées en 1959 et représentant des oiseaux de Camargue.

Insolite et caché

Beaucoup de Nîmois ont travaillé sur ce chantier : le maçon Aubert, les frères Gignoux menuisiers, le serrurier Marius Nicolas, le sculpteur Colin, le peintre Gabriel Barbut, Bouvier pour les grilles de la cour d’honneur, les ateliers Mora pour les mosaïques.
Des visiteurs prestigieux sont passés dans ce bâtiment : des présidents de la République dont Gaston Doumergue et le général de Gaulle en 1960, Jacques Chirac en 1999 et des chefs d’Etat étrangers comme  Nikita Kroutchtchev le 27 mars 1960.

Francine Cabane (mars 2020)

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