10, boulevard Sergent Triaire
Le contexte historique
L’Hôtel Mouret fait partie des belles maisons du quartier de la gare construites après l’édification de celle-ci en 1844. C’est un hôtel entre cour et jardin situé sur une parcelle qui va du boulevard Sergent Triaire à la rue Raymond Marc.
Après le 1er embarcadère inauguré en 1839 et situé route d’Uzès sur la ligne Beaucaire-Nîmes-Alès, les ingénieurs Talabot et Didion édifient cinq ans plus tard un deuxième embarcadère au sud de l’Esplanade pour la ligne de chemin de fer entre Nîmes et Montpellier.
Tout le quartier de la nouvelle gare connaît alors une fièvre de constructions et de projets immobiliers. Des hommes d’affaires, souvent riches industriels comme Eugène Foulc, achètent ces terrains agricoles et les lotissent pour l’édification de nouvelles maisons. La proximité de la gare est un élément tout à fait valorisant pour l’immobilier, tant pour la facilité des transports que pour la fascination de voir passer les trains, spectacle nouveau, insolite et recherché à l’époque.
Le train circulant en voie aérienne sur les arches d’un viaduc, le boulevard nouvellement créé s’appelle le boulevard du Viaduc. Il prend en 1897 le nom de boulevard Sergent Triaire en hommage à Pierre Triaire, soldat de la Révolution et de l’Empire, héros de la campagne d’Egypte où il a trouvé la mort le 30 décembre 1799 à l’âge de 28 ans.
Le propriétaire de l’hôtel Mouret
Le propriétaire et commanditaire de ce bel hôtel est Edouard Mouret, négociant en vins. Né le 29 février 1844 à Nîmes dans une famille catholique, il est le fils de Claude Mouret, un riche commerçant, spécialisé dans l’importation d’oranges d’Espagne et de fruits exotiques. Armateur de plusieurs bateaux de commerce, Claude Mouret est également négociant en vins, propriétaire de grands domaines viticoles à Meynes et à Caissargues où il possède le château de Belle Coste. Il a fait construire les grands chais situés au début de la route de Beaucaire. Sa femme, Marie de Fontanieu, est qualifiée dans les actes notariés de « marchande fruitière», expression qui témoigne de la part active qu’elle prend au négoce de son mari. Vers 1860, ses deux fils travaillent avec lui : Edouard, alors âgé de 22 ans est « voyageur commissionnaire en vins » et Auguste, plus jeune, âgé de 20 ans, est « commis négociant en fruits ». Claude Mouret possède plusieurs propriétés à Nîmes dans la rue Raymond Marc mais aussi près des Arènes puisqu’il a fait construire vers 1860 l’immeuble appelé aujourd’hui « Le Lisita » où il réside.
En 1889, à la mort de Claude Mouret, les deux fils se partagent l’héritage. Edouard l’aîné fait construire en 1890 sur la grande parcelle du N°10 boulevard Sergent Triaire cet hôtel particulier luxueux entre cour et jardin à la mode parisienne. Auguste le frère cadet, hérite de l’immeuble du Lisita tout en continuant à résider rue Raymond Marc. Edouard meurt jeune sans enfant et c’est son frère Auguste qui devient propriétaire de l’hôtel. A la mort de ce dernier, sa veuve, née Vernassat, devient usufruitère avant que le patrimoine n’échoie en 1943 à Raymond Commes, époux d’une fille d’Auguste puis à Gustave Troncy, époux Galtier, domicilié à Lyon au 75, rue Chevreuil.
En 1984, le conseil général du Gard, alors présidé par Gilbert Baumet, rachète l’immeuble et y aménage des salles de réunions et de réception surtout au 1er étage.
L’architecte
L’hôtel fut construit à la fin des années 1880 puisque le propriétaire Edouard Mouret y réside en 1891. On ignore qui en fut l’architecte mais son plan entre cour et jardin et son style très parisien laissent penser que la famille Mouret a fait appel à un architecte extérieur à la région.
Le bâtiment
La façade sur le boulevard Sergent Triaire est imposante et présente, dans un style très éclectique, des décors nombreux et assez chargés.
En retrait de la rue, elle offre au regard trois niveaux. On accède au rez-de-chaussée par une volée de huit marches qui mènent à un perron monumental et desservent une galerie joliment ornée de huit colonnes cannelées au style composite.
Au premier étage, les fenêtres sont ornées de guirlandes de fruits et de fleurs et d’un balcon à balustres de pierre superbement travaillé. Au-dessus se trouve un niveau sous comble « à la Mansart » éclairé par cinq grandes fenêtres séparées par des ardoises posées en écailles à la parisienne de manière presque verticale, ce qui exige une grande maîtrise technique. Ce sont sans doute des ouvriers venus d’ailleurs qui l’ont réalisée (à la Préfecture, on a dû faire venir des artisans lyonnais pour poser les ardoises).
Deux petits pavillons, parfaitement symétriques, placés directement au front de rue, devaient servir à loger les concierges ou jardiniers. Ils sont reliés par une grille en fer forgé ouvrante par deux grands portails. Cette grille, ferronnerie remarquable rehaussée d’éléments dorés, et les deux oculus des pavillons, fortement décorés, font de cette façade une des plus prestigieuses du boulevard Sergent Triaire.
La façade sur le jardin
L’essentiel de la maison regarde vers le jardin à l’arrière. Cette façade est très soignée mais moins chargée en décors que celle qui donne sur le viaduc, ce qui lui confère plus d’élégance. Une belle serre en fer forgé a été aménagée en rez-de-jardin contre le bâtiment ; la ferronnerie y est superbement travaillée et le monogramme de la famille Mouret y figure avec la lettre « M ». Cet abri de verre permettait de « serrer » les plantes fragiles, particulièrement les orangers, à l’abri du froid en période hivernale.
Le jardin
Le jardin s’étend en longueur jusqu’à la rue Raymond Marc. Il a une forme rectangulaire et comprend un bassin d’eau, miroir de l’édifice, indispensable dans les beaux jardins du XIXe siècle. Au fond du jardin, deux petites constructions originales en briques s’appuient sur de grandes écuries et abritent à droite un vieux puits et à gauche des pièces de maintenance.
Les écuries
Ouvrant sur la rue Raymond Marc, en fond de jardin, se trouvent les écuries placées dans une construction très originale associant pierre, briques et bois. Les fenêtres du rez-de-chaussée côté jardin sont en arc segmentaire, surmontées d’une clé et entourées de pierres de taille. L’entrée des écuries est marquée par une superbe tête de cheval sculptée et la toiture est décorée d’une frise de bois très travaillée dans le style des pays de montagne (Jura, Suisse, Savoie).
On retrouve ces éléments de bois sur la façade de la rue Raymond Marc. A l’intérieur, on peut encore observer les 4 stalles destinées aux chevaux.
L’intérieur
Le rez-de-chaussée est occupé par un hall monumental où se conjuguent tous les éléments de décors habituels des belles maisons bourgeoises nîmoises de la fin du XIXe siècle : mosaïques colorées au sol, murs habillés de peintures imitant des tapisseries anciennes, plafonds stuqués très travaillés de moulures et de décors abondants. Des salons d’apparat se font face de part et d’autre d’un couloir majestueux : à gauche en entrant, un salon au plafond peint en bleu azur et à droite, un autre salon doté d’un remarquable plafond à caissons décorés et d’une cheminée associant des céramiques colorées et un tondo présentant une Diane à la chasse en bronze.
Un escalier monumental mène aux étages transformés en bureaux ou salles de réunions.
Insolite et secret
Le 1er avril 2013, un article de la revue « Objectif Gard » annonce aux Gardois que l’hôtel Mouret a été vendu à un homme d’affaires belge, propriétaire d’établissements de nuit et que ce dernier a pour intention de transformer l’hôtel Mouret en « Villa Libertine » pour rencontres discrètes et soirées intimes ! Mais c’était un 1er avril !
Francine Cabane
Janvier 2023
Sources :
- POTAY Corinne, 10 BOULEVARD SERGENT TRIAIRE / 7 BIS RUE RAYMOND MARC HOTEL MOURET EZ0175-0176 /Archives/juillet 2014