2, rue Briçonnet
Un peu d’histoire
L’hôtel Guiraud-Dumas fait partie des belles maisons du quartier de la gare construites peu après l’inauguration de celle-ci en 1844. En effet, lorsque les ingénieurs Talabot et Didion édifient un deuxième embarcadère au sud de l’Esplanade pour la ligne Montpellier-Nîmes, le quartier connaît une fièvre de constructions et de projets immobiliers. La proximité de la gare est alors très recherchée et donne une plus-value aux terrains et aux biens immobiliers.
Cet hôtel fait aussi partie des maisons originales de Nîmes car elle possède un élément de décor unique dans la région qui est un petit pavillon de bois finement sculpté et accroché à la façade au niveau du premier étage, côté jardin.
Le propriétaire
L’immeuble fut construit vers 1858 par un négociant en vins, Monsieur Léonce Guiraud, né en 1811 à Vauvert et mort à Nîmes en 1906 à l’âge de 95 ans.
Léonce Guiraud est originaire d’une famille protestante de négociants en vins à Vauvert. Son grand-père, Claude-Marie Guiraud, fut exécuté pour fédéralisme le 17 juillet 1794 sur l’Esplanade. En 1841, Léonce épouse Catherine Faure, genevoise de 19 ans, qui lui donne deux filles, Marie qui meurt à 22 ans et Adèle qui épouse en 1869 Adrien Dumas. Léonce Giraud, bien que resté très attaché à sa commune natale de Vauvert, installe son négoce et ses bureaux à Beaucaire, à l’emplacement des futurs « Chais Beaucairois » ; il a de nombreuses succursales, y compris à Berne en Suisse.
En 1857, il décide de s’installer à Nîmes pour être au plus près de la voie PLM (Paris-Lyon-Marseille) et achète de nombreux terrains près de la gare dans la rue qui porte son nom et relie les rues Bourdaloue et Bridaine ; il possède aussi des vignes dans sa propriété agricole de Villary près de Garons.
Il fait construire un grand hôtel particulier à l’angle des rues Briçonnet et Bridaine, s’implique dans la vie nîmoise, est membre du Consistoire et juge au tribunal de commerce. Il est le mythique président de la Chambre de commerce de 1865 à 1879 avec une interruption de 1870 à 1874 et marque, à ce titre, la vie locale. Sa fille, Adèle Dumas, hérite de la maison où elle ouvre un salon littéraire qui reçoit des visiteurs prestigieux comme Frédéric Mistral. Depuis, ce bel hôtel appartient aux membres de la famille Pallier, descendants de Madame Dumas.
L’architecte
L’architecte n’est pas connu avec certitude mais Corinne Potay, docteur en histoire de l’art, documentaliste aux archives municipales, pense que ce bel immeuble a pu être signé du célèbre architecte nîmois, Henry Révoil (1822-1900) à la fois architecte diocésain, architecte des Monuments Historiques qui fut un des grands maîtres d’œuvre régionaux, installé à Nîmes mais actif autant en Languedoc qu’en Provence. Son travail pour des propriétaires particuliers est encore peu et mal connu mais certains éléments suggèrent qu’il a pu donner les dessins de cet hôtel particulier où on décèle des accents inspirés par la Renaissance italienne qu’affectionnait Henry Révoil tel l’emploi en façade de demi-colonnes au niveau du corps central évoquant une superposition de loggias.
L’édifice
L’immeuble est imposant, situé dans l’angle de la parcelle dominant un joli jardin, caché de la rue par un mur de clôture. La façade principale donne sur la rue Briçonnet. Elle se caractérise par un style néoclassique très répandu à Nîmes au milieu du XIXe siècle avec une parfaite symétrie sur trois niveaux et un ordonnancement autour d’un corps central.
Le rez-de-chaussée présente un appareil à refends afin de « donner une impression de solidité au soubassement » nous dit Corinne Potay.
L’axe central délimité par des pilastres cannelés s’orne d’une belle porte d’entrée au rez-de-chaussée et au premier étage, étage noble, d’un balcon habillé d’une ferronnerie en fonte, soutenu par quatre lourdes consoles sculptées. Les fenêtres des 1er et second étage dans cet axe central sont groupées par trois, séparées par des colonnes cannelées et surmontées d’un arc en plein cintre mouluré, le tout évoquant les fenêtres à l’italienne type « serlienne » que l’on peut admirer aussi sur l’élégant et proche hôtel Dions-Bézard de l’avenue Feuchères.
Les chapiteaux des colonnes sont de style ionique au 1er étage, de style plus composite à l’étage supérieur avec des fleurs et des feuillages. Les impostes sont habillées de lambrequins de bois finement ciselés de volutes et de cercles à rayons évoquant des soleils.
L’abondance des fenêtres surprend sur cette façade ; on n’en compte pas moins de vingt-deux plus quatre soupiraux qui éclairent les sous-sols. Les fenêtres latérales sont toutes surmontées d’un puissant entablement soutenu par des consoles ornées de perles, volutes et feuilles ; elles sont encadrées de fines moulures très élégantes et munies d’un garde-corps en fonte. La porte d’entrée montre un travail soigné d’ébénisterie et son imposte vitrée aux cercles emboités rappelle celle de la porte de la maison Ginestous-Libourel au n°15 de l’avenue Feuchères.
Le petit pavillon de bois
Une des particularités de ce bel hôtel est sans aucun doute le petit pavillon de bois, appelé « isba » par ses propriétaires, très visible depuis la rue, accolé à la façade sud au niveau du premier étage. Cet élément, rapporté après la construction, est surprenant par sa facture. Il s’agit d’un bois de pin entièrement travaillé et sculpté à l’orientale. Les motifs évoquent les moucharabiehs du Maghreb. Il semble que cet édicule ait pu être un des pavillons d’une Exposition universelle. D’autres éléments dans la maison rappellent l’architecture mauresque.
Le pigeonnier et la serre
L’agréable jardin situé au sud de la maison présente deux éléments classiques des belles maisons de Nîmes à la fin du XIXe siècle : un pigeonnier et une serre.
Le pigeonnier, emblème seigneurial pendant des siècles, est devenu après la Révolution française marque de la réussite sociale pour de grands bourgeois qui en ornent leur demeure. La serre, qui bénéficiait d’un système de chauffage, permettait d’abriter en saison froide les plantes tropicales fragiles et particulièrement les orangers, si prisés à Nîmes dans les beaux jardins. Le pigeonnier et la serre présentent des décors mauresques avec des arcs outrepassés.
Le pavillon mauresque
La serre relie la maison à un charmant petit pavillon mauresque appelé « Turquerie » et rajouté en 1876 pour servir de bureau à Monsieur Léonce Guiraud. La porte d’entrée ainsi que les fenêtres qui donnent sur le jardin montrent des arcs outrepassés entièrement décorés de stucs, autrefois peints, et de motifs de l’architecture hispano-mauresque. Cette réalisation a été l’œuvre conjuguée de l’architecte Randon de Groslier et du sculpteur nîmois Léopold Mérignargues.
Cette belle maison bénéficie également d’un superbe décor intérieur. Sans doute, Léonce Guiraud a-t-il fait appel aux meilleurs maîtres d’œuvre de l’époque et les mosaïques de l’entrée témoignent d’un savoir-faire raffiné, peut-être celui des ateliers des frères Mora, artisans mosaïstes originaires du Frioul et installés à Nîmes au XIXe siècle.
La salon littéraire de Madame Adèle Dumas
À droite de la porte d’entrée, une plaque de marbre posée par l’Académie de Nîmes en 1930 vient rappeler que le poète du Félibrige, Frédéric Mistral, amie de Madame Adèle Dumas, est venu souvent dans ces lieux.
« Ici Frédéric Mistral
Accueilli par Dona Andriono
Rêva, chanta, retrempa son génie
Aux sources éternelles de la poésie »
À gauche de la porte, une autre plaque propose une phrase de Frédéric Mistral, tirée de l’Ode « I troubaïre catalan » de 1861, à la gloire de la liberté retrouvée et qui fut placée sur la façade au moment de la Libération de Nîmes en 1945.
Ces deux références à Frédéric Mistral s’expliquent par le rôle et la place que ce dernier a eus dans le salon littéraire de Madame Adèle Dumas.
Adèle, seule fille de Léonce Guiraud après la mort précoce de sa sœur, épouse en 1869 alors qu’elle n’a que 21 ans, Adrien Dumas, un ingénieur agricole né à Nîmes. Ce dernier se retrouve paralysé à la suite d’un accident en 1878. Très cultivée, enthousiaste, engagée, Adèle ouvre un salon littéraire. Elle y reçoit souvent son ami, le poète Frédéric Mistral, qu’elle a rencontré en 1875 à Villary dans la propriété des Guiraud et avec qui elle entretient une riche correspondance pendant plus de 40 ans.
Frédéric Mistral lui dédie le chant III de Nerto : « Le Roi », paru en 1884 où il la nomme « Dono Andriano ». Dans leur correspondance, il la compare souvent à une hirondelle. De par ses ascendants suisses, Adèle parle bien allemand et est une aide précieuse pour Mistral lorsqu’il fut question de traductions des œuvres du poète dans la langue de Goethe. Dans le salon nîmois d’Adèle, Mistral a croisé Joséphin Péladan, appelé le « Sar Mérodack » écrivain, critique d’art, chantre de l’ésotérisme, connu pour avoir écrit et fait jouer en 1904 dans les arènes de Nîmes un opéra intitulé « Sémiramis ».
Francine Cabane, janvier 2022
Sources :
- Potay (Corinne), « 2 RUE BRICONNET HOTEL GUIRAUD parcelle EZ0495 » Archives municipales, mai 2014 revu en septembre 2014
- Pallier (Michèle), Un notable nîmois au cœur de la vie économique du Gard : Léonce Guiraud (1811-1906), Mémoires de l’Académie de Nîmes, tome LXXX, 2006, p 91 à 108.
Avec tous mes remerciements à Madame Michèle Pallier pour son attentive relecture