En haut de l’avenue Feuchères, près de l’Esplanade, une longue façade basse qui date de 1893 cache au regard des passants un établissement scolaire important de la ville, le collège Feuchères. Cet immeuble a une longue histoire passionnante.
Un peu d’histoire
Sur les plans anciens, à l’époque où ni la gare, ni l’avenue Feuchères n’existaient, se trouvait ici, au-delà des remparts médiévaux, une ancienne église des Templiers, récupérée par l’ordre de St Jean de Jérusalem lorsque l’ordre des Templiers fut dissous en 1312 par le pape Clément V. Non loin de là se trouvait le grand couvent des Augustins.
Au XVIe siècle, l’église et ses bâtiments annexes sont détruits lors des guerres de religion, et complètement rasés pour l’édification d’un bastion des fortifications protestantes d’Henri de Rohan édifiées en 1622 puis en 1629.
Après la paix d’Alès en 1629, l’enceinte de Rohan est détruite « jusqu’à la dernière pierre », et de nouveaux établissements religieux se construisent dans les années 1660, au moment de la Contre-Réforme, sous l’impulsion de l’évêque Mgr Anthyme-Denis Cohon. Le grand couvent des Ursulines s’installe face aux Arènes à l’emplacement du Cheval blanc actuel, et le couvent des Capucins sur celui de l’ancien couvent des Augustins (aujourd’hui l’hôtel Novotel Atria). Le plan de Jules Igolen nous montre qu’à l’emplacement du collège Feuchères s’étalent au XVIIIe siècle les jardins de Messieurs les commandeurs de Malte.
La création de l’Institut de l’Assomption
Dans les années 1840, tout ce secteur de la ville, jusque-là champêtre, est bouleversé par l’édification de la nouvelle gare, appelée « second embarcadère » sur la ligne de chemin de fer Nîmes-Montpellier. Pour relier cette gare à la ville, la municipalité Ferdinand Girard ouvre en 1842 une avenue monumentale pré-hausmannienne de 60 m de large et qui prend le nom d’un bienfaiteur nîmois ayant fait don de sa fortune à la ville, le baron Victor-Adrien de Feuchères (à ne pas confondre avec les architectes, Léon et Lucien Feuchère, père et fils).
En 1839, l’abbé Vermot, originaire de Besançon et le père Goubier, curé de la paroisse Ste Perpétue, créent sur le haut de l’avenue un établissement d’enseignement pour filles pendant qu’à Paris, une religieuse, Anne-Eugénie Milleret de Brou, qui sera canonisée sous le nom de Sainte Marie-Eugénie de Jésus, fonde la congrégation des Religieuses de l’Assomption avec pour mission d’enseigner les jeunes filles. Le père Emmanuel d’Alzon (1810-1880) devient le père spirituel de cette congrégation et est appelé en 1843 à prendre en mains l’établissement de Nîmes. Il commence par recruter des professeurs dont Messieurs Monnier et Germer-Durand et établit un règlement scolaire. Ce premier collège comprend plusieurs constructions un peu éparses, ce qui nécessite assez vite des travaux d’agrandissement, entrepris à la fin du XIXe siècle.
La façade sur l’avenue Feuchères (1893)
La façade actuelle a été inaugurée en 1893, à l’occasion du cinquantenaire de l’établissement ; le père d’Alzon, mort en 1880, ne l’a pas connue. On ignore l’architecte qui a été sollicité mais Corinne Potay, dans une notice consacrée à Félicien Allard, émet l’hypothèse qu’il ait pu réaliser cette construction puisqu’il a beaucoup travaillé dans cette dernière décennie du XIXe siècle sur des édifices religieux nîmois, particulièrement l’église St Luc.
La façade qui correspond au corps de bâtiment fermant la cour est impressionnante par sa longueur. Réalisée en belle pierre de taille de Beaucaire sur un seul niveau, elle est soulignée de refends (joints plats taillés dans le parement d’un mur) qui accentuent l’horizontalité de l’ensemble. La symétrie est parfaite avec quatre fenêtres de part et d’autre d’une monumentale porte centrale. Les lignes de refends se retournent sur les joints de platebande des fenêtres conférant beaucoup d’élégance à l’ensemble. L’élévation comporte un acrotère traité en balustrade avec à l’axe un ensemble au décor luxueux en couronnement de la porte.
Le fronton curviligne qui surmonte la porte est orné d’un motif discoïdal encadré de deux antéfixes portant des armoiries aujourd’hui effacées. La décoration du disque central est remarquable par la qualité de la sculpture et la richesse des décors : godrons, rangs de perles, délicates fines branches de feuilles et dans la partie inférieure, une extraordinaire guirlande de roses.
La porte concentre l’essentiel du décor. Elle est couverte d’un arc en plein cintre puissant, orné d’une voussure à bossages finement sculptée présentant des fleurs et des rosaces, et surmonté d’une clé à motif de feuille d’acanthe et de fleurs. Elle est encadrée de doubles pilastres ioniques à bossages un sur deux. L’ensemble, original et pittoresque, forme un décor unique à Nîmes.
Très épaisse, la menuiserie est haute et large avec deux battants identiques et une imposte demi-circulaire ajourée, remarquable par ses ferronneries en forme de cœurs et de fleurs enchâssées dans des rayons de bois. Au-dessus de la porte, on peut lire l’inscription « B.MARIAE V.IN CAELOS ASSUMPTAE » pour « Beate Mariae Virginis in Caelos Assumption » qui évoque l’enlèvement au ciel de la Sainte Vierge Marie ou Assomption et rappelle que ce bâtiment fut pendant plus de 60 ans le siège de l’Institut de l’Assomption.
Les deux corps de bâtiment latéraux
La longue façade basse surmontée de sa balustrade est encadrée aux deux extrémités par des corps de bâtiment élevés. Le raffinement du décor y est extrême. Les fenêtres rectangulaires du rez-de-chaussée ont des encadrements de pierre ; celles de l’étage supérieur sont en plein cintre, surmontées de châssis rayonnants et agrémentées d’appuis de pierre ajourés. Chaque niveau est souligné d’une corniche richement moulurée, avec sous la toiture et au premier étage, des fines frises de denticules. L’angle arrondi sur la rue Pradier est particulièrement élégant. Des pilastres à chapiteaux de style Renaissance renforcent le décor soigné de l’édifice.
Ce bâtiment est un bel exemple d’architecture caractéristique de l’éclectisme du XIXe siècle qui associe, juxtapose ou mélange des styles extrêmement différents.
Le père Emmanuel d’Alzon (1810-1880)
Emmanuel d’Alzon tableau à Hulsberg (Pays-Bas), copie d’un original de Nicolas Vollier Santiago du Chili, Maison provinciale assomptionniste.
Plan de Nîmes 1901 (©Bibliothèque Carré d’Art ). Les établissements de l’ordre de l’Assomption rue de Bouillargues et rue Ste Perpétue
Le père d’Alzon, de son nom, Emmanuel Joseph Marie Maurice Daudé d’Alzon est né au Vigan dans le Gard le 30 août 1810, dans une région où le protestantisme est fortement enraciné, ce qui a conforté sa foi catholique. Après des études à Montpellier et à Rome, il devient vicaire général du diocèse de Nîmes en 1834. Ses liens forts avec le philosophe catholique, Robert de Lamennais, le marquent profondément. Appelé à la tête du collège de l’Assomption en 1843, il s’engage dans la réflexion sur l’éducation et l’enseignement et fonde la « Revue de l’enseignement chrétien » où il défend l’idée de réintroduire l’esprit chrétien dans les études classiques. Il crée l’association Saint-François de Sales et fonde deux congrégations-sœurs, les Augustins de l’Assomption et les Oblates de l’Assomption en leur assignant des buts apostoliques ambitieux : missions lointaines en Australie et en Orient, missions d’éducation, presse, pèlerinages…
A Nîmes, le père d’Alzon a le souci de construire un couvent de l’Assomption sur des terrains au-delà du viaduc, rue de Bouillargues. En 1859 sort de terre un véritable monastère, béni par Mgr Plantier. C’est un grand bâtiment en fer à cheval, avec le couvent dans l’aile centrale, des cloîtres donnant accès à des salles de classes et à une grande salle faisant office de chapelle jusqu’à ce que l’architecte prestigieux Henri Révoil y construise une nouvelle chapelle, inaugurée en 1890.
Nîmes est le berceau des Assomptionnistes. C’est l’une des rares villes de France avec Paris et Bordeaux à posséder toutes les composantes des familles religieuses de l’Assomption : les Assomptionnistes dès 1843, les Religieuses de l’Assomption à partir de 1855, les Oblates de l’Assomption lors de leur prise de service au Collège de l’Assomption en août 1866, les Petites Sœurs de l’Assomption rue Briçonnet en 1883 et, par extension géographique, les Orantes de l’Assomption présentes au Vigan de 1939 à 2004. Cette concentration nîmoise et gardoise de l’Assomption s’explique bien sûr par la présence et la personnalité du père d’Alzon qui a été déclaré vénérable par le pape Jean-Paul II en décembre 1991.
De l’Institut de l’Assomption au Lycée de jeunes filles
Le 29 mars 1880, des décrets de Jules Ferry obligent les congrégations religieuses, non autorisées par la loi, à cesser leur mission d’éducation. A Nîmes, l’application du décret est retardé en raison de l’immense popularité du père d’Alzon mais son décès survenu le 21 novembre 1880 permet son application. Les vingt religieux sont chassés de la ville et se réfugient en Espagne. Après leur départ, des tractations avec l’évêché de Nîmes permettent au collège de poursuivre son existence sous direction diocésaine, jusqu’à la fermeture définitive de l’établissement religieux en 1909. L’Institution de l’Assomption renaît sous le nom d’Institut Emmanuel d’Alzon, rues de Bouillargues et de Ste Perpétue, sur des terrains proches du monastère.
Après le départ des religieux, les bâtiments et les terrains de l’avenue Feuchères font l’objet de nombreux projets de liquidation. Le mobilier est vendu aux enchères publiques, première forme de démantèlement. Pendant la guerre de 1914-1918, les locaux servent d’abri à des populations réfugiées venues du Nord, de foyer pour soldats permissionnaires, de local pour l’Œuvre du trousseau aux prisonniers et on y installe même une annexe de l’hôpital.
En 1920, le maire radical de Nîmes, Josias Paut, décide d’y transférer les 5 classes du Lycée de jeunes filles qui était jusqu’alors installé dans l’hôtel Rivet de la Grand-rue et manquait cruellement de place. L’Etat désigne l’architecte, Auguste Augière, pour présenter un rapport et évaluer l’immeuble. La Ville, de son côté, fait appel comme expert à l’architecte Max Raphel qui fixe la valeur à 501.691 francs, somme retenue par la Ville pour l’achat. Le lycée de jeunes filles fonctionne sur l’avenue Feuchères de 1921 jusqu’en 1969 où l’introduction de la mixité dans les établissements entraîne le transfert des demoiselles vers les lycées Montaury et Daudet. L’établissement, devenu collège Feuchères, accueille alors filles et garçons de la 6ème à la 3ème. Il a fait l’objet tout au long du XXe siècle de nombreux travaux et agrandissements autour de la cour.
Souvenirs d’élèves : le lycée Feuchères au temps de la 2ème guerre mondiale
A deux reprises le lycée fut occupé pendant la deuxième guerre mondiale… En 1939, par l’armée française qui regroupe là des soldats mobilisés avant que les troupes ne soient envoyées sur le front. Parmi ces soldats, un occupant déjà célèbre à l’époque, Charles Trenet dit « Le Fou chantant », fait vivre le piano de l’internat à la grande joie des femmes de ménage qui en ont gardé longtemps un souvenir vivant.
Ensuite en 1942 par les Allemands qui, en riposte au débarquement des Alliés en Afrique du Nord, franchissent la ligne de démarcation et entrent dans Nîmes le 11 novembre 1942. Sur le blog des anciennes élèves de Feuchères, Suzette Granger rapporte les témoignages de jeunes filles scolarisées pendant la guerre qui se souviennent de la présence des Allemands dans le lycée…
« Les plus anciennes se souviennent du roulement des chars, de l’atmosphère… Les Allemands cherchaient à loger leurs troupes et le lycée de filles leur paraîtra bien approprié : cuisines, dortoirs, place ! Pourtant, les cours se poursuivent, des excursions à l’Aven d’Orgnac, à La Chartreuse de Valbonne sont organisées en mars 43, et ce malgré l’éloignement, le carburant, les Allemands… »
« Bombardements, alertes, où se réfugier ? Depuis le début de la guerre, le centre de la cour du Lycée est percé d’un tunnel qui donnait sur les caves et servait d’abri lors des alertes aériennes… »
« Les officiers allemands viennent inspecter le Lycée… nous étions toutes dans la cour, en rang, l’officier avait des bottes, une cravache, j’étais terrorisée, mais la directrice restait impassible. »
« Les lycées avaient reçu l’ordre de fournir la liste de leurs élèves juifs. De fait, sur le registre de Feuchères, cette mention apparaît, mais sur les élèves sorties… Un exemple pris au hasard, U. Mireille née en 1926 à Paris élève de 2nde n’a aucune mention sur la feuille de son inscription ; elle quitte le lycée le 23 novembre 42 au motif de sa mère malade, et la lettre J au crayon apparaît alors ».
« Les dirigeants de la Synagogue toute proche de la rue Roussy avaient fourni à la Direction du Lycée une liste de noms de jeunes filles qui devaient être évacuées en urgence vers la synagogue, par la porte de derrière, pour y être protégées ».
Antoine Bruguerolle et Francine Cabane, février 2021
Bibliographie :
- Site Nemausensis, De l’Assomption au Collège Feuchères,
Extrait de Nîmes aux XIXe et XXe siècles, http://www.nemausensis.com/Nimes/CollegeFeucheres/CollegeFeucheres.html - Site Wikipedia, Emmanuel d’Alzon
https://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_d%27Alzon - GRANGER, Suzette, Une période mal connue des élèves du Lycée Feuchères : l’Occupation allemande (1942-1944) Site : feuchereslyceenimes