LE BUSTE DE PAULIN TALABOT
EN GARE DE NÎMES
Un peu d’histoire
Installée contre un pilier du hall de la gare centrale, face à l’escalier des départs, une silhouette de bronze observe le va-et-vient continu des passagers qui transitent chaque jour par la gare centrale de Nîmes. Il n’en a pas toujours été ainsi.
Placée dans l’arche centrale de la gare, sous l’horloge, contre l’avis de Prost, ingénieur des mines et du contrôle d’Alès qui condamnait ce choix le 20 juin 1893 au motif que cela ferait obstacle à l’une des trois entrées principales de la gare et limiterait la fluidité des voyageurs, la silhouette de Paulin Talabot a d’abord veillé sur la circulation de l’avenue Feuchères.
C’est lors de la rénovation de la gare entre 2001 et 2010 que le buste de Paulin Talabot, qui faisait face aux assauts du temps et des hommes, trouva la place qu’il occupe aujourd’hui.
Une inauguration en grande pompe : le 30 septembre 1893
Réalisé en juin 1881 par Gustave Noblemaire, directeur de la Compagnie de chemins de fer P.L.M. (Paris-Lyon-Méditerranée) et successeur de Paulin Talabot, l’ensemble monumental dédié à ce dernier n’est inauguré que le 30 septembre 1893, huit ans après sa mort.
Les façades de la gare sont décorées pour l’occasion de guirlandes de feuillages et de fleurs, mais aussi d’écussons avec le monogramme de la République Française et de drapeaux tricolores.
Le service d’ordre est organisé par Renart, directeur principal de l’exploitation. Il sera assuré par une vingtaine d’agents de la Compagnie, tenus de se présenter en gare de Nîmes dès 7h du matin en uniforme de la Compagnie. L’animation musicale est assurée par « L’Accord musical du PLM » dirigé par Monsieur Jullian, chef de section et composé d’une trentaine d’agents de la Compagnie travaillant aux ateliers de Courbessac entre autres.
Les autorités des villes de Nîmes et de la Grand-Combe, du département du Gard sont invitées et présentes. Est aussi présente la presse des « trois couleurs » locale et nationale.
La cérémonie a débuté à 10h par l’arrivée en cortège des officiels, accompagné par la musique de la fanfare PLM. Le voile qui recouvre le monument tombe au moment où le cortège est installé dans l’enceinte qui lui est réservée. Cinq personnes prendront la parole : Gustave Noblemaire, directeur de la Compagnie PLM, Alfred Silhol, président du Conseil Général, Louis Frédéric Fargeon, avocat et ami de Paulin Talabot, âgé de 92 ans, Cornudet, vice-président du conseil d’administration de la Compagnie PLM et Robert de Nervo, neveu par alliance de Talabot. Un violent orage éclate, abrège les discours et oblige les convives à se réfugier au sein de la gare où sera servi un banquet aux autorités et aux journalistes dont le menu fut concocté par Monsieur Noblemaire lui-même. Le fonds Pierre Mazier aux Archives Départementales nous précise ce menu : « Ortolans Lucullus, Truite sauce Nantua, Filet de bœuf Renaissance, Petit pois à la Française, Perdreaux truffés rôtis, Pâté de foie gras, Salade russe, Glace, desserts, café et liqueurs, le tout arrosé de Chablis, Bordeaux, Chambertins et de Moët frappé et accompagné de cigare » !
Un monument qui témoigne de la reconnaissance d’une compagnie à son fondateur
Le buste réalisé en bronze est l’œuvre de Gustave Noblemaire qui démontre qu’il possède, outre ses solides compétences de gestionnaire, un véritable talent d’artiste. Il réalise d’abord une maquette avant de faire fondre le buste dans les ateliers des frères Thiébault, une des plus importantes fonderies d’art de France au XIXème siècle.
Ce buste en bronze est déposé sur un piédestal en pierre de Lens réalisé selon le projet de Bonyard, chef d’architecture à la Compagnie. Il est réalisé par Gervais Auguste Jules Houël, ingénieur en chef au PLM, né à Paris le 29 juillet 1844, fils de Jules César Houël, administrateur de la Compagnie Fives-Lille et mort à Radon le 28 avril 1900. Chaque côté est sculpté d’une palme dont les feuilles vont se mêler à la grille ouvragée qui isole l’arche où se trouve le monument.
A l’origine, le piédestal était relié aux piliers de l’arche par un socle en pierre de Lens formant banc. Les deux marches inférieures devant étaient quant à elles sculptées dans un seul bloc de Barutel. Sur la face de ce piédestal, on peut lire l’inscription suivante :
Paulin TALABOT
1800-1885
Ouverture du Chemin de fer
De La Grand-Combe à Beaucaire
1837
Celle-ci comporte deux erreurs : la première sur l’année de naissance de François Paulin Talabot qui est né le 1er Fructidor An VII (18 août 1799) à Limoges et la seconde, sur l’ouverture de la ligne. Si la Compagnie des chemins de fer du Gard est bien créée en 1837, la ligne entre la Grand-Combe et Beaucaire n’est ouverte qu’en 1841.
Comme on l’a vu pour la cérémonie d’inauguration, une fois encore les personnels de la Compagnie, et pas des moindres, sont les principaux artisans de la réalisation de monument en l’honneur de Paulin Talabot.
Dans un contexte marqué par l’émergence de la question sociale et la cristallisation des oppositions entre libéraux et marxistes et la promulgation de l’encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII, la cérémonie est une véritable démonstration de force de la Compagnie PLM. Au-delà de la célébration de celui qui fut son fondateur, elle se veut aussi une célébration de la Compagnie elle-même et d’un modèle de relations sociales internes, que l’on pourrait qualifier de paternaliste.
Paulin Talabot : « un grand Nîmois » d’adoption
Pierre Clavel, président de l’Académie de Nîmes, qualifie en 1995 Paulin Talabot de « grand Nîmois » même s’il n’était pas originaire de cette ville.
Paulin Talabot est né à Limoges le 1er fructidor An VII (18 août 1799) dans une famille plutôt aisée. Il est reçu à Polytechnique en 1817 et en sort en 1819 pour intégrer les Ponts-et-Chaussées et devenir ingénieur en 1825. C’est en 1829 qu’il arrive dans le Gard à la demande du Maréchal Soult qui préside le Conseil d’administration de la Société des canaux de Beaucaire à Aigues-Mortes, mais aussi la Compagnie minière de Rochebelle et des forges de Tamaris à Alès.
On lui doit l’écluse à trois entrées et cinq portes près de la cité d’Aigues-Mortes, appelée écluse de garde, qui va permettre de dessaler l’étang du Scamandre et de couvrir le bassin du Leyran de prairies et de vignes.
Avec l’aide de Charles Didion, il va se voir confier l’amélioration du transport des produits miniers du bassin d’Alès vers le port fluvial de Beaucaire. Il prospecte alors dans la région de la Grand-Combe et flaire le potentiel minier de la région. Il reçoit le soutien de nombreux industriels de Nîmes et du Gard mais aussi de Marseille qui pétitionnent auprès du Ministre de l’Intérieur de l’époque, un certain Adolphe Thiers, pour soutenir son projet à la fois de chemin de fer et de compagnie minière qui voit le jour le 27 juillet 1837 et qui lui vaudra le surnom de « Stephenson français ». C’est le point de départ d’une aventure ferroviaire qui aboutira à la création de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée plus connue sous le nom de PLM en 1857.
On lui doit la construction du pont de Ners, qui permet d’enjamber le Gardon et de limiter l’impact des crues sur la liaison Nîmes-Alès, et deux projets d’approvisionnement de la ville de Nîmes en eaux.
Elu conseiller général du Gard sur le troisième canton de Nîmes en 1861, il succède à Jean Duplan, maire de Nîmes. En 1863, il est élu député de la première circonscription du Gard. Il est nommé par l’Empereur Napoléon III, président du Conseil général le 2 août 1865. Réélu député en 1869, il est battu aux élections cantonales de 1870 par le duc d’Uzès. Il se retire de la vie politique après la chute du Second-Empire.
Devenu aveugle à la fin de sa vie, il abandonne la direction de la Compagnie PLM à Gustave Noblemaire en 1881 et se retire à Paris où il meurt le 21 mars 1885.
Gustave Noblemaire : un directeur aux talents multiples.
Joseph Philippe Gustave Noblemaire est né à Dieuze le 27 avril 1832 et est mort à Paris, VIIIème arrondissement le 21 novembre 1924. Elève de Polytechnique puis de l’Ecole des Mines de Paris, il entre dans la Compagnie PLM en 1860. Talabot lui confie tour à tour la direction des Chemins de fer du Nord de l’Espagne puis la construction des chemins de fer algériens. Il lui succède en 1881 à la tête de la Compagnie PLM et dirige cette société jusqu’en 1907. Il quitte la direction à l’occasion du 50ème anniversaire de la Compagnie.
Sébastien RODIER
Juin 2024.
Sources
- Archives Départementales du Gard, Fond Pierre MAZIER, 93 J 5 : Note adressée à Monsieur Houël, ingénieur en chef, à propos de l’avis demandé aux ingénieurs sur le monument à réaliser en gare de Nîmes en l’honneur de M. Talabot.
- Archives Départementales du Gard, Fond Pierre MAZIER, 93 J 5 Lettres de Renart et de Houël et réponses reçues pour la libération des salariés de la Compagnie retenue pour participer à la cérémonie d’inauguration.
- Archives Départementales du Gard, Fond Pierre MAZIER, 93 J 5 Pétition des chambres de commerce de Nîmes et de Marseille.
- Archives Départementales du Gard, Le Petit Républicain du Midi, 1er octobre 1893, JR 0463.
- Pierre Clavel, « Un grand Nîmois : Paulin Talabot », Mémoires de l’Académie de Nîmes, IXème série, Tome LXXIII, 1995-1996.
- Alfred Auguste Ernouf, Paulin Talabot, sa vie et son œuvre (1799-1885), Paris, Plon, 1886.
- Archives Départementales de l’Hérault, L’Eclair, journal quotidien du Midi, 1er octobre 1893, archives en ligne, Discours de Louis Frédéric Fargeon, folio 129/494.
- Archives Départementales du Gard, Le Courrier du Gard, 12 décembre 1837, JR 208.
- Archives Départementales du Gard, Procès-verbaux des opérations électorales, 3 M 146, 152, 160, 171 et procès-verbaux des délibérations du Conseil Général du Gard 1863-1868, 1 N 216.
- Georges Goy, « Hommes et choses du PLM », Paris, 1911, site Gallica, ouvrage en ligne