Témoignages architecturaux de l’art décoratif à Nîmes
Un peu d’histoire
Après le style éclectique de la fin du XIXe siècle qui avait dominé toute l’Europe, après l’expression du style art nouveau, dominée par le goût des volutes avec la nature comme registre décoratif et floral, ce qui engendrait une surabondance des décors où l’ossature architecturale disparaissait au profit de la courbe et de la contre-courbe organique (les spécialistes parlent alors de « ferronnerie en coup de fouet »), les artistes ont eu la nécessité de trouver une nouvelle écriture architecturale faite de rigueur et de dépouillement qui s’inscrit dans le courant de l’art moderne. Cette nouvelle écriture porte le nom de « style art déco » en écho aux arts décoratifs.
Ordre, couleur et jeu de tracé géométrique seront l’essentiel du vocabulaire de l’art déco. En 1905 naissait un mouvement pictural révolutionnaire, le cubisme. La géométrisation des formes et leurs simplifications étaient au goût de l’époque.
Ainsi, la sculpture avec les bas-reliefs, le décor et les motifs architecturaux introduisent et développent un nouveau vocabulaire avec des matériaux contrastés pour jouer avec la facture, la couleur et la texture des matières dans les élévations, briques avec effet d’assemblage, relief en faïence émaillée, partition de menuiserie travaillée en motif, vitrail et verres colorés, verres martelés dits américains, etc…
Ce style art déco prend son essor vers les années 1910 pour se terminer vers les années 1940. Il triomphe à Paris en 1925 lors de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes. Il sera européen, voire international avec des particularités suivant les pays et suivant les talents des architectes.
En France, le premier exemple qui fait date est la construction du théâtre des Champs Elysées par Auguste Perret dont l’inauguration a lieu en 1913. La composition architecturale est rigoureuse avec une ossature en béton recouverte de plaques de travertin et une décoration économe de bas-reliefs en marbre blanc signés André Bourdelle. En 1925, c’est l’exposition internationale qui lance véritablement le style décoratif majeur du XXe siècle : l’art déco.
En 1937, l’exposition internationale dédiée aux arts et techniques dans la vie moderne fut marquée par la construction du Palais de Chaillot sur le site de l’ancien Palais du Trocadéro. Le plan est presque le même avec un jeu de volumes épurés, les deux ailes latérales courbées formant un arc. Entre les deux éléments se situe la grande esplanade qui ouvre la vue sur la tour Eiffel. Les architectes furent Azéma, Carlu et Boileau avec Laprade pour la fontaine. Ce bâtiment participe au mouvement qui annonce le temps moderne de la technique et de l’industrie. Ces deux édifices sont classés monuments historiques.
À Nîmes, quelques exemples…
Au lendemain de la première guerre mondiale, il faut rebâtir. Le style, à Paris comme en province, est donc le style art déco.
Le patrimoine des faubourgs de Nîmes a la grande chance d’avoir encore gardé des témoins précieux de ce style. Les exemples que nous proposons ici peuvent être une simple porte, un balcon, une maison dans son intégralité, un édifice public. Avec l’adresse, nous précisons la section et parcelle du cadastre ainsi qu’une brève description pour les façades. En se promenant dans les rues de Nîmes, nous pouvons relever d’autres témoins de ce style. Cette liste n’est pas exhaustive.
Quelques exemples de portes…
Quelques exemples de balcons ou de grilles…
Maisons, immeubles de rapport, édifices publics
38-42, rue Pradier, Section HA, parcelles 988,989, 992
Immeuble de rapport, signé de l’architecte Auguste Augière. Longue façade rythmée par des jeux de fenêtres qui se répondent, des balcons reposant sur des consoles. Élégant travail des portes d’entrée rehaussées d’un arc plein cintre avec, pour certaines, des vitraux de couleurs aux formes abstraites. Des médaillons sculptés en bas-relief, en nombre réduit, animent cette façade.
17, boulevard Talabot, section HA, parcelle 990
Immeuble de rapport réalisé par l’architecte Auguste Augière, (1859-1925). Nous retrouvons le même équilibre dans le rythme des fenêtres avec des balcons en fonte reposant sur des consoles et une partie de l’édifice en légère saillie pour animer l’élévation par un effet de verticale. Nous admirons aussi la même harmonie des décors de la porte d’entrée que pour l’immeuble de la rue Pradier. En raison de sa belle qualité, cet immeuble du boulevard Talabot a été labellisé au titre du patrimoine du XXe siècle par la Commission Régionale du Patrimoine et des Sites du 19 janvier 2010.
11 bis, rue Notre Dame, section HA, parcelle 1109
Une très intéressante maison dont l’architecte est également Auguste Augière. Cet immeuble de rapport comporte trois niveaux avec un comble brisé aménagé en surcroît. Son élévation est faussement symétrique, composée sur quatre travées, bien que déséquilibrée par son entrée décentrée, placée entre une porte cochère et une boutique. L’effet de régularité a été rattrapé par un motif en fronton brisé sur les deux travées centrales. La façade est richement décorée avec une modénature variée et de nombreux motifs sculptés dans la pierre de Beaucaire, appuis et chambranles moulurés, linteaux droits simples au premier étage, et linteaux à crossettes au deuxième étage sur les deux travées axiales et segmentaires soulignés d’une archivolte à clef sur les côtés. Le fronton en couronnement à l’axe comporte une petite fenêtre à balcon sur console encadrée de deux niches à l’axe. Dans les autres éléments de décor, on repère aussi une corniche avec chéneau à l’anglaise orné d’un losange de part et d’autre, un acrotère avec gargouilles, des lucarnes de pierre passantes en appui du comble, des balcons sur consoles et modillons filant sur les deux travées de droite au premier, tandis qu’au deuxième, le balcon est en appui des trois travées de droite et d’une porte fenêtre de gauche…
L’esprit art déco s’affirme dans ce souci du détail travaillé avec la volonté de montrer la maîtrise. Il est combiné avec l’apport de motifs qui restent art nouveau par le décor floral des balcons de fonte, le traitement des lambrequins ajourés et une frise de mosaïque polychrome en appui de la corniche sur les côtés. Cet immeuble mériterait d’être protégé afin de pouvoir garder, dans Nîmes, quelques témoins de maisons particulières de ce style.
61, rue de l’Aqueduc, section EW, parcelle 34
Intéressant est cet immeuble car il présente une façade hybride : par l’articulation de sa façade et ses éléments décoratifs, il répond à des préoccupations du style art nouveau et aussi à des préoccupations art déco. Le rez-de-chaussée est homogène avec un soubassement en pierre froide arrêté par un rang de brique en saillie. La composition est séquencée et variée avec de gauche à droite, une première travée comportant une porte en rez-de-chaussée, un bandeau mouluré et au premier étage, un triplet de fenêtres étroites légèrement décalé, couronné d’une corniche rythmée d’une série de corbeaux à motif d’antéfixes, sous un comble brisé en tuiles plates en écailles, percé d’un oculus de pierre à l’axe. Une deuxième travée simple avec de haut en bas, fenêtre, porte-fenêtre à balcon et lucarne de pierre à balconnet. La troisième travée traitée verticale, comme une tour couronnée d’une corniche à arcatures sur corbeaux sculptés en appui d’un balcon avec comble brisé de tuiles en retrait, traitée pour évoquer un avant-corps, est encadrée de pilastres en appareil alterné jouant sur la couleur des pierres. Avec un jeu de percements comportant deux travées de porte et fenêtre en rez-de-chaussée, porte fenêtre sur balcon filant au premier, inscrite dans une baie formant niche couverte en anse de panier brisée, couverte d’une trompe en appui d’une fenêtre à balconnet. Les linteaux sont traités avec des motifs variés, à clé droite en rez-de-chaussée, segmentaires en brique jouant sur une polychromie de briques. Au premier étage sur la porte fenêtre de la travée intermédiaire, on remarque un tympan sculpté. Le décor végétal trouve sa place avec une frise de faïences qui vient en inclusion sur les fenêtres du rez-de-chaussée et en appui de la corniche au premier étage. Un décor en graffite de mortiers colorés vient souligner la baie principale au premier étage de l’avancée. Cette composition répond à un geste art déco inscrit dans une composition pittoresque encore éclectique.
2bis, rue de Combret, section DV, parcelle 321
Maison des années 30, style art déco, à la ligne simple, presque austère dans l’esprit moderne, le soubassement est en pierre appareillée en opus dit « anglicum », la porte d’entrée en verre dépoli et en fer forgé est caractéristique des années trente avec un encadrement en pierre de taille traité à refends de référence classique. Le rythme simple et dépouillé au premier étage avec un jeu des fenêtres qui se répondent deux à deux à l’ombre d’une corniche droite saillante est contrebalancé par l’arrondi du garde-corps, et l’avancée en bow-window avec ses trois fenêtres et un fronton découpé. Un jardin d’agrément donne sur l’impasse Boissier. L’architecte est Georges Chouleur, bien connu à Nîmes pour ses diverses réalisations dont celle du centre Pablo Neruda.
15 rue du Mail, section EX, parcelle 600
Cette modeste maison porte les signatures d’Henri Floutier (1896-1973), architecte départemental du Gard et de R. Adiletto, entrepreneur. Nous retrouvons le style art déco, dans sa grande simplicité avec la pureté des lignes architecturales, rehaussé d’un ou plusieurs détails qui donnent la signature. Au rez-de-chaussée, la composition est maladroite avec une porte désaxée et deux garages de part et d’autre dont l’un aurait pu être une boutique. La porte d’entrée est en fer forgé et verre martelé, avec un encadrement plein cintre en saillie. Le premier étage est composé de trois portes-fenêtres donnant sur un balcon qui court sur toute la façade avec au centre un garde-corps ajouré et métallique. La partie haute de la façade est animée par deux filets horizontaux avec en couronnement une corniche à ressaut.
22, rue des Chassaintes, édifice public, section DV, parcelle 65
La maison des Combattants est un bâtiment construit pour l’Union Fédérale du Gard des Anciens Combattants et des Victimes de Guerre par l’architecte Henri Floutier. Né à Aigues–Mortes, il fait ses études à l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris entre 1920-1924. De retour dans le Gard, il dirige le principal atelier d’architecture qui œuvre dans le département. On lui doit le sanatorium « maritime » du Grau-du-Roi, l’Eden théâtre à Nîmes, et des caves coopératives. Il en signe plusieurs dont celles de Combas, Beauvoisin, Saint-Théodorit,…, renouvelant l’aspect architectural de ce type d’édifices. Il reçoit aussi d’autres commandes comme le montre cette maison des Combattants. En un style art déco très épuré, avec un rythme de fenêtres et de portes qui se répondent entre des piliers, avec des motifs décoratifs en bas-reliefs et un corps central traité en creux, simplement souligné d’une corniche droite à mi hauteur, ce bâtiment est simple et harmonieux à la fois. Sa labellisation au titre du patrimoine du XXe siècle n’a rien d’étonnant.
17 rue Dhuoda, lycée technique, section EW, parcelle 49
Très intéressant édifice public qui a été construit par les architectes Jean Christol, Léonce Salles et l’ingénieur Dufour. Pendant une dizaine d’années, ce bâtiment s’appela Groupe scolaire Hubert Rouger du nom du maire de la ville de Nîmes, Hubert Rouger qui, en 1927, avait proposé de construire une Ecole pratique de Commerce et d’Industrie. Après 1945, il porte le nom de Collège technique et moderne de Nîmes et Centre d’apprentissage annexe. En 2008, il est devenu, Lycée technique régional Dhuoda. Dhuoda était une princesse carolingienne, née avant 800 et décédée après 843, épouse du duc de Septimanie, femme de lettres. Elle écrivit pour son fils aîné, otage du roi Charles le Chauve, un traité d’éducation. La bibliothèque de Carré d’art, possède parmi ses incunables, une copie en latin réalisée d’après l’original de 843. Il n’en existe que trois exemplaires au monde.
Depuis le 2 mai 2002, le lycée Dhuoda est inscrit partiellement Monument historique. Nous retrouvons le style art déco : respect des proportions, lignes dépouillées, façade très structurée avec une porte centrale qui, par sa monumentalité, son avancée par rapport aux corps de bâtiments de droite et de gauche, les bas-reliefs qui l’animent (sculpteur Henri Calvet), propose une entrée principale imposante. Le bâtiment qui s’organise autour d’une cour centrale, est décoré, suivant cette recherche d’une décoration complémentaire à une architecture. La salle des fêtes propose des peintures de Paul Christol, d’André Vidal et d’Armand Coussens. Dans le parloir, il y a des scènes bucoliques d’Henri Pertus tandis que les vitraux sont de Georges Janin. Un bâtiment important, témoin d’une époque, d’un style.
Le Colisée, 24, boulevard Amiral Courbet, Section HA, parcelle 2
Le Colisée, ancienne salle de cinéma et théâtre de Nîmes a été construit par les architectes Paul Furiet (1898-1930) et Georges-Henri Pingusson (1894-1978). L’inauguration a eu lieu en 1927. Cet ensemble a connu son heure de gloire, pouvant recevoir jusqu’à 2500 personnes. La charpente est métallique avec de grandes verrières coulissantes qui permettaient de donner de la lumière et d’aérer la scène et la salle. La façade, austère et rythmée, se compose d’un corps central imposant traité en fronton avec trois panneaux verticaux où sont écrits « THEATRE, COLISEE, CINEMA » . Ces panneaux qui sont très hauts par rapport à l’ensemble, permettaient de masquer la toiture de la salle. A l’origine la partie centrale était plus haute et les panneaux étaient couronnés par une corniche droite qu’il conviendrait de restituer. De part et d’autre du corps central, les deux ailes des deux étages servaient aux bureaux et au logement du directeur. Le rez-de-chaussée se composait d’un bar et de magasins. Au cours des années, l’intérieur a subi des transformations découpant la grande salle de spectacle pour en faire des petites salles dans une recherche de rentabilité mais en détruisant l’esthétique de l’ensemble. En 2002, une boîte en métal laqué vert est placée au-dessus de l’entrée masquant ainsi le balcon et les baies centrales. Voué à la démolition, l’édifice, œuvre de jeunesse de Pingusson, un des grands architectes du XXe siècle, ce qui en fait un témoin précieux, fut sauvé grâce à une inscription MH par arrêté du 22/01/2015. Par la découpe architecturale, la simplicité des décors mais aussi par l’ossature métallique et l’emploi des verrières, nous sommes devant un bâtiment style art déco qui annonce l’art moderne.
Le musée des Beaux-arts de Nîmes, rue Cité Foulc, Section EZ, parcelle 48
Ce bâtiment public a la particularité d’avoir été construit pour être un musée, celui des Beaux-arts de Nîmes, ce qui est loin d’être le cas pour de nombreux musées en France ! Sa construction est décidée en 1902 pour accueillir la grande mosaïque d’Admète découverte en 1883 ainsi que les collections de peintures modernes et contemporaines. Le concours est remporté par Max Raphel (1863-1943), architecte nîmois qui a déjà beaucoup travaillé dans la ville pour la construction d’écoles et de maisons particulières. Les travaux commencent en 1903 pour s’achever en 1907. Le bâtiment a été construit sur l’emplacement de l’ancien square de la Mandragore dans la rue Cité Foulc. L’architecte Jean-Michel Wilmotte, à la demande de la municipalité, a rénové l’espace intérieur du musée en 1987.
Conclusion
Au cours de cette promenade art déco, nous avons pu apprécier les évolutions stylistiques entre les architectes. Art nouveau, art déco, art moderne s’inscrivent dans un mouvement continu. Auguste Augière, né trente-sept ans avant Henri Floutier propose un art déco avec des résonnances du style art nouveau, avec un goût pour les courbes, des motifs en verre émaillés, tandis que Floutier apporte le dépouillement, le jeu des volumes, la ligne droite dominante, l’économie d’éléments décoratifs. Une transition vers l’art moderne.
Nous soulignons, que les deux édifices publics, la maison des Combattants et le lycée technique régional Dhuoda sont référencés par le ministère de la Culture, l’un a été labellisé avec l’immeuble de rapport du 17 boulevard Talabot au titre du patrimoine du XXe siècle, par la Commission Régionale du Patrimoine et des sites, l’autre est inscrit en tant que Monument historique. Ces labellisations et cette protection soulignent leur intérêt culturel et stylistique. Les quelques maisons privées de cette époque n’ont reçu, pour l’instant, aucune protection, par manque, sans doute, de demande de la part de leurs propriétaires. L’une d’entre elle est vouée à la démolition. Il s’agit de la maison située au 58ter avenue Jean Jaurès/1 bis rue de l’Abattoir. Elle fait l’objet d’une fiche particulière.
Hélène Deronne, Antoine Bruguerolle
mai 2021
Bibliographie :
- Académie de Nîmes, Diagnostic patrimonial des faubourgs de la ville de Nîmes, épreuve dactylographiée, avril 2015, voir site Académie de Nîmes.
- Wikipédia, dossier Lycée technique régional Dhuoda.
- Base Mérimée pour le dossier du Colisée
- Fiche et photographie de Francine Cabane pour le musée des Beaux-arts.
- Les photographies du Théâtre des Champs Elysées, du Palais de Chaillot, ont été prises sur le site de l’Office de tourisme de Paris.
- Les autres prises de vue sont de Josette Clier, DRAC Occitanie, et d’Antoine Bruguerolle, Francine Cabane et Madeleine Giacomoni de l’Académie de Nîmes.