La maison REDARES – 6, avenue Feuchères
Un peu d’histoire
Cette vaste demeure élevée sur 4 niveaux en belle pierre de taille est connue sous le nom de « maison Rédarès » du nom du propriétaire qui l’a fait construire ici en 1852.
Réalisée donc dix ans à peine après la création de l’avenue Feuchères par la volonté de la municipalité Girard, l’immeuble est construit sur des parcelles agricoles.
Jusque dans les années 1842, avant l’édification de la gare, se trouvaient à cet endroit deux vastes parcelles agricoles : un jardin d’un hectare appartenant à l’épicier Auguste Pascal qui l’avait acheté au tanneur Etienne Vié et un autre jardin de plus de 2 hectares qui appartenait au négociant Simon Bolze.
La création de l’avenue en 1842 entraîne le démembrement de ces grands jardins et permet aux propriétaires une belle plus-value immobilière dans le cadre du lotissement des rives de la nouvelle artère prestigieuse de la ville qu’est l’avenue Feuchères.
Les propriétaires
En 1850, l’avocat Jean Ambroise Alexis Rédarès entre en possession d’une parcelle de 698 m2 sur laquelle il fait construire un grand immeuble de rapport doté d’un beau jardin en fond de parcelle. Lui-même n’y habite pas puisqu’il réside alors dans la Grand Rue mais il l’a fait construire pour son fils, Ernest Rédarès, avocat lui aussi, qui y habite semble-t-il dès 1852 avec femme et enfant.
Par la suite, les héritiers Rédarès continuent à résider dans cet immeuble en occupant le plus bel appartement, situé au premier étage. Comme ce fut le cas aussi de l’hôtel Bézard situé au n°2 en haut de l’avenue, cet hôtel fut donc à la fois maison de la famille et immeuble de rapport avec des appartements loués.
Les recensements successifs montrent la présence d’un concierge et de nombreux domestiques vivant dans les chambres du dernier étage. C’est un immeuble résidentiel d’un bon standing, occupé par des rentiers, des représentants de professions libérales (avoué, avocat, huissier), des fonctionnaires qui travaillent dans l’administration des postes ou du chemin de fer, un négociant, mais aussi un employé de commerce en 1872. La plupart des résidents sont de religion catholique et il y a même un appartement qui sera longtemps dévolu au curé de la paroisse Sainte-Perpétue et à son vicaire, qui y résident avec trois domestiques, sans doute parce que la famille Rédarès était très engagée dans la religion catholique.
En 1881, l’immeuble est racheté par le négociant Emile Picheral, issu d’une vieille famille nîmoise qui y habite quelque temps avant de laisser place à sa fille Marguerite Picheral-Doumergue deviendra officiellement propriétaire du n°6 avenue Feuchères aux alentours de 1897 et conservera cette propriété jusqu’en 1953. Depuis, l’immeuble est la propriété de la famille Bedos, tout d’abord de Charles Bedos avocat maître bâtonnier du barreau de Nîmes et de sa femme Alix puis de leur fille, Geneviève Bedos.
L’architecte
Les documents consultés aux Archives et le dossier établi par Corinne Potay ne nous donnent pas le nom de l’architecte mais cette dernière pense, arguments à l’appui, que l’immeuble a pu être signé par Léon Feuchère qui réalise, sur la même avenue, l’hôtel Silhol et la Préfecture en 1857. L’hôtel Brouzet, au coin de la place Questel et du boulevard Victor Hugo et l’immeuble Arnaud à l’angle de la montée du Fort, tous deux œuvres de Léon Feuchère, présentent des similitudes avec les éléments architecturaux du n°6 de l’avenue Feuchères, surtout quant à l’utilisation des colonnes en façade et au décor chargé et surprenant des consoles de balcons
La façade
La façade s’élève très haute sur l’avenue avec trois étages au-dessus du rez de chaussée. L’entrée, située dans l’axe médian, ordonne une symétrie parfaite entre les sept travées et les nombreuses fenêtres. L’axe central est valorisé par une importante décoration apportée aux ouvertures. Celle du premier étage est surmontée d’une corniche en demi-lune tandis que la fenêtre du deuxième étage de l’axe central est surmontée d’un fronton triangulaire.
La porte d’entrée, massive et en plein cintre, est décorée de plusieurs rangs de sobres moulures venant reposer sur des consoles enrichies d’un motif cordé. La boiserie de la porte avec une imposte fixe présentant un motif en soleil et des vantaux aux décors géométriques est de très belle facture.
Chaque étage est souligné par une puissante corniche très originale, venant fortement en saillie et décorée de fines denticules pour celle située sous la toiture. Toutes les fenêtres et portes fenêtres sont cernées d’abondantes moulures. Elles sont « à crossettes », c’est-à-dire pourvues d’un ressaut décoratif situé à chaque angle de l’encadrement.
Le 1er étage bénéficie aussi d’une attention décorative particulière qui valorise son statut d’« étage noble » : les travées sont encadrées par des colonnes cannelées, d’ordre ionique, juchées sur de hauts socles dont l’avancée permet l’installation d’urnes métalliques. Un garde-corps de balcon file tout le long de la façade ; réalisé en fonte, il présente de beaux motifs, évoquant une « dentelle métallique », agrémentée de mascarons anthropomorphes et d’éléments en étoile.
Toute la façade est rythmée par une multitude de colonnes et de pilastres d’une grande diversité : pilastres d’ordre toscan, à fût lisse, au rez-de-chaussée, colonnes d’ordre ionique à fût cannelé au 1er étage, pilastres d’ordre corinthien à fût cannelé, au 2nd étage, pilastres d’ordre toscan au dernier niveau, cannelés seulement dans leur partie supérieure et surmontés de consoles sculptées.
Corinne Potay souligne : « Cette façade très soignée a une allure générale néo-classique mais elle introduit cependant des éléments peu canoniques comme par exemple la superposition de consoles au-dessus des pilastres du rez-de-chaussée et du dernier niveau, motifs qui introduisent une note de fantaisie mais ne nuisent pas à l’ambiance antiquisante dégagée par l’aspect d’ensemble et renforcé par la présence des urnes et colonnes du 1er étage ».
L’intérieur
L’entrée de la demeure s’ouvre sur un vaste couloir où de nombreuses colonnes rappellent le parti pris architectural de la façade. Une belle mosaïque orne le vestibule comme souvent à Nîmes dans les maisons bourgeoises du XIXe siècle. Un escalier assez monumental dessert les étages. Au fond du couloir, une porte donne accès à une jolie cour ombragée…
Insolite et secret
C’est dans cette maison qu’a vécu le bâtonnier Charles Bedos et sa famille. En tant qu’avocat, il fut chargé de la défense de deux jeunes militants communistes, arrêtés en mars 1943 à la suite d’un attentat dans la rue St Laurent où des soldats et officiers allemands avaient trouvé la mort. Ils se nommaient Jean Robert et Vincent Faïta et furent jugés à huis clos devant la section spéciale de la Cour d’appel qui les condamna à mort pour « activités communistes et antinationales ». Ils furent décapités le 22 avril 1943 dans la cour de la maison d’arrêt près du palais de Justice à côté des Arènes et une plaque rappelle ce terrible moment. Charles Bedos se vit reprocher sa vibrante plaidoirie en faveur de ces deux jeunes hommes âgés de 24 et 25 ans et il fut déporté en octobre 1943 à Mathausen pour les avoir défendus. Revenu de déportation, ce brillant avocat fit un discours extraordinairement émouvant dans les Arènes pleines à craquer le 1er septembre 1945 où il dénonça les crimes contre l’humanité faits dans les camps.
Francine Cabane (août 2020)