34, rue Ruffi Nîmes
Le contexte historique
Au bas de la rue Ruffi, là où celle-ci rejoint le boulevard Sergent Triaire, face au Planas s’élève une belle bâtisse construite en 1879 par un industriel du nom de Fulcrand Louis Liron.
La parcelle fait partie du vaste ensemble appelé « quartier Cité Foulc » aménagé par Eugène Foulc dès les années 1850. En 1842, la construction de la ligne de chemin de fer Nîmes-Montpellier bouleverse complètement cette zone au sud de la ville occupée jusqu’alors par des champs, jardins et vergers. Le viaduc à arcades qui supporte la ligne ferroviaire, la gare et l’avenue Feuchères créent un nouveau paysage urbain. Dans les années qui suivent l’inauguration en 1844 de la gare appelée alors « embarcadère », le secteur se développe, se construit, s’urbanise en proie à une intense spéculation immobilière.
Les propriétaires
Fulcrand Louis Liron, né le 10 janvier 1835 à Sauve, est le fils d’un agriculteur ayant rang de « propriétaire foncier ». Il est le cadet d’une famille de sept enfants et commence une carrière de voyageur de commerce avant de s’installer à Nîmes avec son frère aîné Alexandre. Les deux frères sont alors associés dans un négoce d’épicerie en gros. Fulcrand se marie en 1857 avec la jeune Henriette Mira dite « Mira Bastide », âgée seulement de 17 ans et fille de rentiers aisés. En 1864, il crée une raffinerie d’huile de pétrole d’Amérique et devient « pétroleur » à une époque où les lampes à huile sont encore le moyen privilégié de s’éclairer. Il achète à Eugène Foulc plusieurs parcelles dans le quartier et installe son entreprise près de la gare, le long du chemin de Saint-Gilles (rue Briçonnet actuelle). Les bureaux sont construits sur une parcelle agricole à l’angle de la rue Ruffi et du boulevard du viaduc (aujourd’hui boulevard Sergent-Triaire).
En 1875, il déménage ses bureaux et fait construire à cet emplacement une belle maison montrant sa réussite mais il décède prématurément en 1877 à l’âge de 42 ans et semble ne pas avoir vu l’achèvement de la construction. Sa veuve se remarie rapidement et vend la maison. Son frère Alexandre, devenu aussi « pétroleur », ouvre une usine près des Abattoirs, au 3 chemin de la Galère, diversifiant les produits, offrant des huiles pour moteurs et s’associant avec ses fils (« Société Alexandre Liron et Fils » en 1902).
De 1886 à 1924, l’immeuble appartient à Jean Grégoire, marchand de vins qui possède de grands chaix dans la rue Charlemagne toute proche. Les marchands de vin sont nombreux dans ce quartier comme le montre le plan « monumental industriel et commercial de Nîmes de 1898 ».
La proximité de la gare facilite l’exportation des productions. On voit nettement sur le plan l’immeuble d’habitation à l’angle de la rue Ruffi et du Planas avec derrière les immenses chais pour le vin. Jean Grégoire habite cette maison avec sa femme, ses deux enfants et des domestiques pendant de longues années.
En 1924, Jules Brunel, homme d’affaires nîmois qui possède une importante société immobilière, rachète la maison pour la donner en résidence à sa fille Augusta et à son gendre Jean Antoine. Les Brunel et Antoine sont très présents dans le commerce de vins et liqueurs sur la ville de Nîmes.
L’architecte
On ne connaît pas le nom de l’architecte qui a réalisé les plans de cette maison mais les architectes de talent étaient fort nombreux à Nîmes au début de la IIIe République. Parmi eux, on peut citer Alphonse Granon (temple de l’Oratoire 1875), Alfred Randon-de-Grolier (Lycée Daudet 1880), Félicien Allard (église Saint-Luc 1897 et Caisse d’Epargne rue Guizot) Gustave Arnaud (maison Arnaud Adhémar rue Cité Foulc 1892), Henry Révoil l’architecte prestigieux des Monuments Historiques ou encore Eugène Laval, architecte diocésain qui a utilisé sur la maison située au 4 avenue Feuchères le même décor floral que celui repéré ici…
La bâtisse
La maison se présente comme un bloc compact dont l’entrée se situe rue Ruffi mais dont la partie la plus originale et la plus décorée donne sur le jardin côté sud, face au Planas et au viaduc du chemin de fer.
La façade rue Ruffi montre une maison haute d’un étage séparé du rez-de-chaussée par une corniche. Des pierres à bossage soulignent les chaînages d’angle. On remarque deux ailes rajoutées de chaque côté ; celle de droite, qui accueillait l’habitat du gardien, présente un décor moins soigné. Le portail en ferronnerie qui permettait d’accéder à la cour, aujourd’hui disparu, était très élégant.
Trois travées rythment la façade. Les fenêtres sont surmontées d’un décor floral soigné, associant de fins motifs végétaux incisés et des rosaces en relief. Ce type de décor se retrouve à la fin des années 1870-1880 sur d’autres maisons dans Nîmes comme au 29 rue Emile Jamais ou aux numéros 12 et 14 rue Colbert.
La porte d’entrée présente une ouverture en plein cintre et un encadrement de motifs floraux et feuillages semblables à ceux des fenêtres. La boiserie, de grande qualité, montre en partie haute deux oculi séparés par un motif en palmette. Une colonnette médiane sépare deux vantaux en chapeau de gendarme percés en partie basse par des boutons de porte placés au centre d’une étoile à huit branches. Les parties inférieures de la porte sont taillées en pointe de diamant.
La façade côté Planas
Cette façade est originale et très décorée. Elle se compose de cinq travées dont les trois médianes s’ouvrent au rez-de-chaussée sur une terrasse couverte et s’ornent à l’étage de verrières ornées de vitraux aux motifs végétaux associant des feuillages verts et des fruits orange. Ces verres sont signés de l’entreprise Schalleinder et Gaborit, artisans verriers primés plusieurs fois lors des Expositions universelles. Ils ont pu être installés, après la construction, peut-être par Jean Grégoire au début du XXe siècle et sont une marque Art nouveau sur cette maison.
Les fenêtres sont légèrement cintrées, décorées de linteaux sculptés de motifs végétaux et soulignées par des soubassements en pierre ajourée.
Le même décor de pierre ajourée orne deux terrasses : celle du rez-de-chaussée donnant sur le jardin et celle, plus originale, sur la toiture permettant d’observer le passage des trains. On y accédait par un escalier protégé par un petit édicule en pierre. La fascination pour ce nouveau moyen locomotion, si impressionnant et spectaculaire, était sans aucun doute une attraction prisée de la grande bourgeoisie nîmoise.
Le jardin entoure la maison sur trois côtés et se prolonge au nord-ouest par une cour avec des dépendances : écuries, remise à foin élégamment décorée de briques.
Conclusion
Cette maison, d’inspiration italienne, présente la particularité d’être bâtie en front de rue sans retrait mais avec de nombreux éléments de décors gracieux et originaux dont les plus spectaculaires sont sans doute les verres colorés style Art nouveau de la façade sur le Planas. Magnifiquement restaurée, elle abrite aujourd’hui un cabinet dentaire, ce qui permet donc à de nombreux Nîmois d’admirer les plafonds stuqués et les décors intérieurs.
Académie de Nîmes
Francine Cabane
Novembre 2024
Sources :
- POTAY, Corinne, 34 RUE RUFFI PARCELLE EW0399/ARCHIVES municipales/septembre 2014
- CHEVALLIER, Alain : Notice sur Alexandre LIRON dans Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours de Patrick Cabanel et André Encrevé, Editions de Paris Max Chaleil, 2022, tome 3
- CHEVALLIER, Alain et CABANE, Francine : Notice sur Fulcrand LIRON dans Dictionnaire biographique des protestants français de 1787 à nos jours de Patrick Cabanel et André Encrevé, Editions de Paris Max Chaleil, 2022, tome 3